Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/636

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une pente raide et escarpée. La maçonnerie, en forts matériaux, était plus liée et meilleure qu’on n’avait présumé d’abord ; on craignait qu’à cette distance de cinq cents mètres, avec quatre pièces seulement, et le petit nombre de coups qu’on avait encore à tirer, on ne pût faire en temps utile une brèche suffisante, et il fut décidé que la nuit suivante on transporterait les pièces à trois cent cinquante mètres plus loin, dans la place d’armes, à laquelle on ferait subir les changemens nécessaires. Cette décision se trouva justifiée quelques heures après par les détails que vint fournir au général en chef un Espagnol, déserteur des zouaves du bey, qui donna des renseignemens fort précis sur les abords du rempart que nous battions en brèche. « Cette brèche, nous disait-il, serait très difficile à couronner ; elle était entourée de masures crénelées et de réduits d’où l’ennemi pouvait très bien la défendre. » L’assaut offrait des chances incertaines et pouvait être très meurtrier, si nos boulets et nos projectiles creux, en élargissant considérablement l’ouverture faite au rempart, et en adoucissant les talus, ne les rendaient pas facilement accessibles à notre infanterie.

Notre feu n’avait pas tardé à éteindre celui des pièces situées sur la muraille même que nous battions en brèche. Nos obus, bien dirigés, avaient rendu plusieurs des batteries supérieures inhabitables, et en avaient délogé les canonniers. Cependant l’assiégé ne cessait pas de répondre vivement, de ses casemates surtout, avec les pièces sur lesquelles notre feu n’avait pas de prise ; il entretenait aussi par ses meurtrières et ses embrasures un feu nourri de fusils de rempart.

Nous passâmes deux heures environ dans la batterie de brèche, les deux états-majors réunis. On prétendait que la place n’était pas tenable pour un général en chef et pour le prince, et l’on ajoutait que certainement l’un ou l’autre serait bientôt tué, s’ils ne voulaient pas agir avec plus de prudence, ne se défilant jamais, et affectant de rechercher les endroits les plus dangereux. Je n’ai jamais, quant à moi ; blâmé cette hardiesse, qui sied bien de temps en temps à des officiers-généraux chargés de commander aux plus braves troupes de la terre ; mais je suis forcé de convenir que les projectiles de l’ennemi tombaient là comme la grêle. Heureusement que l’épaulement de la batterie était haut et solide. Chabannes s’amusa à aller s’asseoir à quelques mètres au-dessus de nous, trouvant sans doute qu’il y serait plus exposé encore.

Vers la fin de la journée, le général en chef, dont les instructions, à ce qu’on prétend, portaient d’éviter à tout prix l’assaut, et qui, d’après l’état des choses, avait quelques doutes sur l’issue d’une attaque de