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vive force, voulut tenter un dernier effort auprès de l’assiégé, et sommer Constantine de se rendre. Il écrivit en conséquence une lettre à Achmet-Bey et une autre au commandant des troupes dans la ville, où il les engageait à se soumettre pour arrêter l’effusion du sang et éviter les suites d’un assaut ; mais ce n’était pas tout : il fallait faire parvenir ces lettres à leur destination, et c’était une mission délicate et pleine de danger que celle de se présenter aux avant-postes des Arabes, car on ne pouvait pas avoir l’assurance d’y être traité suivant le droit des gens. On demanda un homme de bonne volonté pour remplir les fonctions périlleuses de parlementaire. Il s’en présenta deux à l’instant ; l’un était sergent dans la légion étrangère, l’autre, un jeune homme de vingt ans, Mahmoud, faisait partie du bataillon turc de Bône. Celui-ci fut préféré, parce qu’on pensa que, si des explications avec les habitans devenaient nécessaires, il serait avantageux que notre envoyé pût parler la langue du pays. L’évènement prouva qu’on avait eu raison.

Le jour commençait à baisser, il n’y avait pas de temps à perdre ; on mit le jeune Arabe en route, tenant à la main un bâton auquel était attaché un mouchoir blanc qu’il agitait bien haut au-dessus de sa tête. En même temps, le général en chef, après une salve magnifique de toutes nos batteries, fit sonner par un trompette la cessation du feu. Les trompettes des autres batteries redirent cette sonnerie, qui fut répétée au loin par l’écho des montagnes ; nous criâmes aux grenadiers du 47e qui étaient dans le Bardo, au-dessous de nous à notre droite, de laisser passer notre envoyé. C’était avec un vif intérêt que nous suivions du regard ce brave jeune homme dont la mort était bien probable, à ce que prétendaient les gens qui connaissaient les usages du pays, et l’on doit comprendre que nous ne le perdions pas de vue.

L’assiégé, voyant que nous suspendions notre feu, avait fait comme nous. Nous espérions en conséquence qu’il nous avait compris, et que notre parlementaire pourrait gagner sans danger une des portes de la ville. Il s’avançait donc hardiment en agitant son drapeau, quand un cri d’indignation s’éleva parmi nous. Des coups de fusil, tirés des embrasures de la place et dirigés sur Mahmoud, venaient d’interrompre le silence général, que notre anxiété et notre attention rendaient plus profond encore. Notre envoyé remuait en vain son drapeau ; les sauvages à qui il avait affaire n’en tiraient sur lui qu’avec plus d’acharnement. Tout d’un coup nous croyons le voir tomber… Il est tué ! s’écrie-t-on de toutes parts. Mais bientôt, malgré l’obscurité qui augmentait à chaque instant, nous reconnaissons que