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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/638

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Mahmoud, caché derrière un rocher, parlementait avec la place, et qu’à l’abri de la fusillade il cherchait, par des explications amicales, à faire comprendre la nature de sa mission toute pacifique. Nous entendions en effet que la conversation s’engageait entre notre envoyé, couché au milieu des pierres, et les Arabes du haut des créneaux de l’enceinte. Cependant les coups de feu se ralentissaient, et peu après ils cessèrent tout-à-fait. Mahmoud, encouragé sans doute, alors par quelque déclaration venue de l’intérieur, se releva et s’approcha avec plus de confiance de la ville. On lui jeta une corde qu’il s’attacha autour du corps, et bientôt nous le vîmes hissé le long du mur, passer par-dessus le rempart et disparaître. Nous nous retirâmes alors au camp, un peu moins inquiets de la destinée de notre messager, craignant bien encore cependant de voir l’ennemi nous jeter sa tête le lendemain par dessus les murailles.

M. le duc de Nemours m’avait donné l’ordre de me rendre avant le jour, le jeudi 12, sur Coudiad-Aty pour y examiner l’état des travaux, afin de pouvoir lui en rendre compte à l’heure où il avait l’habitude de monter à cheval. Je pris avec moi un chasseur d’escorte, et nous nous lançâmes par une nuit des plus noires sur les chemins les plus horribles du monde. Il pleuvait d’ailleurs un peu pour rendre le comfort plus complet. Nos chevaux, avec leur instinct naturel, nous guidèrent sans y voir, sur cette route qu’ils avaient l’habitude de suivre tous les jours. Ce qui est remarquable, c’est que nous reçûmes en chemin le feu de toutes nos vedettes, dont pas une ne nous cria qui vive ; heureusement qu’elles n’y voyaient pas plus que nous, de sorte que sur douze ou quinze balles envoyées à notre adresse, pas une seule ne nous atteignit. Quand je me doutais que nous approchions d’un de nos postes avancés, j’avais bien soin de siffler très haut quelque refrain national ; mais la sentinelle, très endormie ou peu musicienne sans doute, ne nous en lâchait pas moins son inévitable coup de fusil. Mon chasseur, qui prétendait connaître parfaitement la route, au lieu de me conduire sur le Coudiad-Aty, me mena droit au Bardo.

J’entendais depuis quelque temps des détonations tellement fortes, que je m’imaginais que deux ou trois de nos bataillons de garde de tranchée avaient mission, pendant cette nuit, de nettoyer par le feu le plus vif les embrasures et les créneaux du rempart, car jamais feu de manœuvre n’avait été plus vif ni mieux nourri. Et cependant, en débouchant du Rummel, je reconnus qu’on ne tirait ni de la place d’armes ni de nos batteries ; mais je vis sortir de toutes les fenêtres