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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/639

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donnant sur le front attaqué, de toutes les meurtrières, de toutes les embrasures de la ville, des fusées lumineuses qui me mirent au fait, et me prouvèrent que l’assiégé tentait un dernier effort désespéré pour gêner l’établissement de notre nouvelle batterie de brèche et empêcher nos travaux de communication. J’étais égaré au milieu d’une boue affreuse ; il pleuvait à verse. Je donnai mon cheval à mon chasseur, qui ne savait plus où il en était, lui disant de chercher et de s’en tirer comme il pourrait, que, quant à moi, je gravirais à pied l’escarpement de Coudiad-Aty, et tacherais de trouver mon chemin tout seul jusqu’aux batteries. J’étais désespéré et craignais de ne pouvoir m’acquitter de ma mission. Je cherchai donc à tâtons et parvins à me diriger tant bien que mal. Ce n’est qu’à grand’peine que j’atteignis la route de Tunis, après avoir roulé et glissé plus d’une fois sur ces pentes fangeuses où je ne voyais goutte. Le petit jour commençait à poindre quand j’arrivai aux batteries. Je me mis en rapport aussitôt avec M. de Salle, le major, qui chargea M. de Mimont, un des lieutenans de tranchée, de m’accompagner dans les travaux. Je trouvai le colonel Lamoricière avec les zouaves dans la nouvelle batterie de brèche et dans le boyau. Après avoir bien reconnu l’état des travaux, qui ne pouvaient pas être achevés avant midi, je revenais par le sentier de communication du génie, lorsque je m’y croisai avec le jeune Arabe, notre messager de la veille, qui remontait du Bardo, ne rapportant pas de réponse du bey. Je fus enchanté de le voir sain et sauf, et je le conduisis aussitôt à la tente du général Rulhières, où l’on fit venir un interprète. Nous sûmes alors par Mahmoud qu’il avait failli être massacré par le peuple, que les caïds l’avaient protégé et mis en sûreté en l’enfermant dans une maison après lui avoir pris ses lettres. Beaucoup de notables habitans de la ville étaient venus le voir et lui avaient tous énergiquement déclaré que leur intention était de mourir plutôt que de se rendre. Ils se moquaient de notre artillerie, disant que quelques heures de nuit leur avaient suffi pour réparer la brèche. « Les Français, ajoutaient-ils, n’ont plus de pain, plus de poudre ; quant à nous, nous ne manquons pas de munitions. Bientôt l’armée des chrétiens sera forcée de battre en retraite comme l’année dernière. Alors des cavaliers plus nombreux que les sauterelles et que les grains de sable du désert viendront fondre sur elle et l’anéantir. » La confiance et l’exaltation paraissaient, en un mot, arrivés à leur paroxisme parmi les habitans de Constantine.

Pendant qu’on députait Mahmoud au général Damrémont, je repris la route du camp ; mais, victime encore une fois de la maladresse de