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mon guide, j’inclinai trop à droite. Je m’égarai et tombai dans une embuscade de quarante ou cinquante chevaux arabes, dont je me doutai heureusement assez vite pour avoir le temps de tourner bride sans perdre un instant, et pour me diriger par le chemin le plus court, à travers les montagnes, vers Sidi-Mabrouk. Avec tout autre cheval que le mien, je n’eusse, peut-être pas tenté l’aventure, mais ce parti extrême me réussit. Les cavaliers ennemis ne nous poursuivirent pas long-temps ; nous en fûmes quittes pour quelques coups de fusil et force apostrophes injurieuses. La partie, il faut en convenir, était trop inégale pour qu’il y eût de la honte à l’éviter.

Arrivé près du prince, je lui rendis compte du retour de Mahmoud, des dispositions que montrait la population de la ville ; je lui parlai de l’état actuel de nos batteries ; je me permis même d’ajouter que l’ancienne batterie de brèche étant désarmée, et que la nouvelle n’étant pas terminée encore, l’ennemi balayait impunément la route de Tunis avec les pièces de ses embrasures, que nous n’étions pas en état de contrebattre ; que les boulets et les balles y tombaient à foison, que j’avais pu en juger par moi-même, et qu’en un mot, tant que notre feu n’aurait pas été ouvert, c’était s’exposer au plus grand péril et sans nécessité que d’aller visiter les batteries. Mon observation fut mal reçue. À ce moment même, le gouverneur-général montait à cheval pour se rendre à Coudiad-Aty, et secondait ainsi l’impatience du prince, qui s’empressa de le suivre. Je déplorai tout bas cette résolution, et je dis à mes camarades qu’avant peu un de nos officiers-généraux serait tué.

Le comte de Damrémont était vivement piqué qu’Achmet n’eût pas daigné lui répondre ; il venait de faire parler Mahmoud, notre messager, et l’espoir d’un accommodement vers lequel ses instructions lui enjoignaient de tendre par tous les moyens possibles s’évanouissait à ses yeux ; il n’y avait plus à douter désormais de l’acharnement avec lequel l’ennemi était résolu à se défendre. Les véritables dispositions des Arabes apparaissaient clairement à notre général en chef ; or, chez les natures énergiques et généreuses, le mécontentement et l’impatience se manifestent souvent à la guerre par des actes de témérité. Le matin du 12 octobre 1837, il se passa à coup sûr quelque chose de semblable dans l’esprit de notre infortuné gouverneur-général.

Ce jour-là, au lieu de prendre la route ordinaire et de faire un détour à gauche, ainsi que nous en avions l’habitude, en suivant le chemin de Tunis, après avoir passé le Rummel, nous tournâmes à droite