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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/641

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et longeâmes la pente de la colline qui fait face à la ville. C’était défier l’adresse des artilleurs d’Achmet, qui n’étaient pas à plus de cinq cents mètres de nous. Cependant la longue file de chevaux que les états-majors réunis formaient en marchant l’un derrière l’autre dans l’étroit sentier où nous étions engagés ne fut pas entamée par les boulets de la place ; ils passèrent tous au-dessus de nos têtes, les canonniers turcs n’ayant pas eu le temps de rectifier le pointage de leurs grosses pièces de rempart. Lorsque nous eûmes rejoint la route de Tunis, nous mîmes pied à terre, et le général Damrémont, ayant à sa gauche M. le duc de Nemours et près de lui les généraux Rulhières, Boyer et Perregaux, s’avança lentement dans la direction de l’ancienne batterie de brèche. Je marchais immédiatement derrière lui avec le capitaine Pajol, attaché à son état-major ; d’autres officiers nous suivaient. Quelques soldats qui travaillaient dans la batterie et nous voyaient venir à eux en descendant, nous crièrent que le feu de trois pièces situées à la droite de la porte Bab-el-Oued balayait la route où nous nous trouvions, et nous engagèrent vivement à nous écarter un peu. On ne tint pas compte de leur avis, et nous fîmes halte en cet endroit. Il était neuf heures ; M. de Damrémont regardait avec une lorgnette du côté de la ville en s’entretenant avec le prince, quand un boulet qui ricocha à quelques pas devant eux vint le frapper en plein dans le flanc gauche, au-dessous du cœur ; nous entendîmes le bruit sourd que fit le projectile en atteignant le malheureux gouverneur ; il tomba aussitôt à la renverse raide mort ; il avait été traversé de part en part.

L’armée sentit bien vivement cette perte ; j’en fus moi-même profondément affecté. Le comte de Damrémont était très courageux ; il s’exposait tous les jours comme un simple soldat ; ses manières douces et agréables lui avaient gagné le cœur des officiers qui servaient sous ses ordres. Une action très simple en elle-même, un fait dû au hasard, et dont je ne parlerais pas si je pensais y avoir le moindre mérite, m’avait valu, je crois, sa bienveillance particulière. Dans les premiers jours du siège, pendant l’établissement des batteries, j’étais sur le Mansourah occupé à faire un croquis de la place, quand le gouverneur-général vint à passer, et, avec son affabilité ordinaire, voulut voir mon dessin ; je le lui présentai. Sur ces entrefaites, une bombe tomba près de nous ; aussitôt tout ce qui était là, officiers et soldats, se jette à terre, ainsi que cela était ordonné et ainsi que nous le faisions tous les jours. J’avoue que j’eusse préféré en ce moment la position horizontale à toute autre ; mais, obéissant à un sentiment instinctif de respect et d’amour-propre que l’on comprendra peut-être, j’eus honte d’interrompre