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placé sous bonne garde dans le marabout de Coudiad-Aty. Je fus commis à sa surveillance, avec recommandation d’éviter soigneusement qu’il pût communiquer avec personne. Achmet n’était pas dans la ville ; depuis plusieurs jours, il campait sur la montagne aux environs avec sa cavalerie ; c’est pourquoi il n’avait pas répondu la veille à la lettre du gouverneur. Comme j’avais un encrier et du papier, les interprètes et moi nous nous retirâmes dans un coin du marabout, et j’écrivis en français sous leur dictée la traduction de la réponse du bey. Je l’ai conservée, et je la reproduis ici littéralement ; on verra qu’elle ne laissait pas d’être assez habile.

« Un de vos envoyés a été soustrait hier par les principaux chefs de Ksentina à la fureur de la populace, qui ne comprend pas les affaires ; soyez sans inquiétude sur sa vie, il ne lui sera fait aucun mal. Cessez votre feu et votre bombardement qui effraie le pays, et dans vingt-quatre heures je vous enverrai un personnage sage avec lequel vous pourrez traiter de la paix, pour terminer cette guerre d’où il ne résulte aucun bien. »

Achmet voulait évidemment gagner du temps, mais nous sentions que nous n’en avions pas à perdre ; aussi le général Valée chargea-t-il l’envoyé du bey de lui rapporter une réponse conçue à peu près en ces termes : « Si vous voulez sincèrement la paix, ouvrez-moi les portes de votre ville, car je suis résolu à ne traiter avec vous que dans Constantine. » On continua à pousser vigoureusement le feu tout le jour. A six heures du soir, la brèche parut dans un tel état qu’on jugea que l’assaut pourrait avoir lieu le lendemain matin. L’ennemi, pendant cette journée, ne tenta aucune sortie ; il est présumable que Ben-Aïssa, gouverneur de la place, s’attendant à nous voir bientôt donner l’assaut, ménageait sa poudre et les forces de ses soldats.

Malgré le ton pacifique de la lettre d’Achmet et l’effet qu’on pouvait encore attendre de la réponse du général Valée, on poursuivit sans interruption le feu pendant toute la soirée. L’artillerie reçut l’ordre de le continuer toute la nuit pour nettoyer le plus possible les meurtrières et les embrasures du front d’attaque, élargir la brèche, et en tenir l’ennemi éloigné, dans le cas où il essaierait, ce qui n’était pas douteux, de la réparer ou d’y construire des traverses soutenues de sacs à terre, comme il avait déjà fait la nuit précédente. Dans ce but, nos canonniers eurent pour instruction de tirer à des intervalles inégaux. L’assaut devait être donné le lendemain à la pointe du jour ; on arrêta toutes les dispositions, et on forma trois colonnes d’attaque, qui devaient agir successivement.