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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/644

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À en juger par le feu énorme de l’assiégé, nous pouvions nous attendre à trouver sur la brèche une résistance désespérée. M. le duc de Nemours envoya chercher à Sidi-Mabrouk une partie de ses gens, et nous nous établîmes avec lui dans le marabout de Coudiad-Aty, celui qui était le plus à droite au-dessus de la batterie de brèche. Nous y dînâmes, et nous nous étendîmes entre les tombeaux pour y passer la nuit. Le prince et les deux lieutenans-généraux couchèrent dans le petit réduit couvert, et les officiers en dehors. Nous dormîmes à merveille, malgré les détonations de toutes les batteries au-dessus desquelles nous étions établis, et sans égard pour les bombes, les obus et les fusées à la Congrève dont les trajectoires bruyantes et lumineuses passaient par-dessus nos têtes.

Le vendredi 13, à trois heures du matin, les capitaines Boutant, du génie, et de Garderens, des zouaves, eurent l’honorable mission d’aller reconnaître la brèche et de s’assurer si elle était praticable. La clarté de la nuit rendait cette mission des plus périlleuses. Ces deux officiers s’en acquittèrent heureusement ; ils gravirent le talus, le redescendirent et revinrent à la batterie de brèche sans avoir été blessés. M. de Garderens avait déchargé un pistolet qu’il avait à la main sur le haut de la brèche, et presque au même instant ce pistolet fut cassé par une balle. On arrêta le feu de nos batteries pendant le temps nécessaire à cette reconnaissance. De la batterie de brèche au rempart, il y avait environ 150 mètres ; le temps de parcourir cette distance, de gravir le talus, de le redescendre et de revenir en courant, ne dut guère prendre plus de cinq minutes.

Vers trois heures et demie du matin, l’assiégé recommença à tirer plus fort que jamais. Le temps était froid ; nous nous réunîmes auprès d’un petit feu que les cuisiniers du prince avaient allumé dans un des coins du marabout, et nous déjeunâmes avec du café. A cinq heures, tout le monde descendit successivement et sans bruit. En arrivant dans la communication et dans la place d’armes, que les ombres portées rendaient très obscures, nous fûmes étonnés d’abord de les trouver entièrement dégarnies de troupes ; mais les premières colonnes d’assaut, qui y étaient déjà réunies, étaient couchées à terre en silence, et nous vîmes bientôt que loin d’être seuls, nous nous trouvions au contraire en très bonne et très nombreuse compagnie. Le prince, les officiers-généraux et l’état-major, s’assirent dans un petit enfoncement à la gauche de la place d’armes, et à côté de la première pièce de 24 de droite. L’épaulement nous défilait des feux de la place ; il faisait encore nuit.