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Quarante sapeurs et mineurs dirigés par 4 officiers du génie, 300 zouaves et les deux compagnies d’élite du bataillon du 2e léger formaient la 1re  colonne d’assaut, sous les ordres du colonel de Lamoricière. Ce vaillant officier causait gaiement avec nous, et assurait qu’il arriverait à la brèche sans qu’on lui tuât un seul homme ; en effet, les feux obliques de l’ennemi n’étaient pas très redoutables, et l’assiégé, ignorant d’ailleurs le moment précis où la 1re  colonne s’élancerait, n’était pas préparé à la recevoir. On ne doit pas perdre de vue que nos canonniers et nos carabiniers devaient faire jusqu’au dernier moment contre les embrasures et les meurtrières du rempart un feu de mousqueterie et de mitraille fort gênant pour les tirailleurs ennemis ; entre le moment où le feu de nos batteries cesserait et celui où l’ennemi rassuré serait en état de garnir suffisamment le rempart, la 1re  colonne avait le temps de couronner la brèche, sans courir de grands dangers. Une fois, par exemple, le signal donné, le rôle de notre artillerie cessait, et c’était à notre infanterie de faire le reste.

Les officiers du prince avaient tous brigué l’honneur de monter à l’assaut avec la 1re  colonne. M. le duc de Nemours accorda cette faveur au lieutenant-colonel de Chabannes comme au plus élevé en grade, il adjoignit le chef d’escadron Dumas à la 2e colonne, et moi comme capitaine à la 3e.

C’était une heure solennelle. Nous étions tous assis et serrés les uns à côté des autres dans l’obscurité ; on parlait bas, et il serait difficile de rendre les sifflemens de tout ce qui passait au-dessus de nous ; car, indépendamment du feu de la place, toutes nos batteries, échelonnées les unes au-dessus des autres, ne cessaient pas de tirer. Le moment approchait ; toutes les dispositions prises, il fallait s’élancer, parcourir le glacis au pas de course, et gravir la brèche, qui, comme je l’ai dit plus haut, avait été reconnue praticable. A cet instant, le prince envoya Dumas au Bardo porter un ordre à la 3e colonne, et, peu de minutes après, on vint chercher pour lui le chirurgien-major Baudens ; notre pauvre camarade avait été atteint d’une balle. Je réclamai et j’obtins la faveur de le remplacer auprès du colonel Combes, commandant la 2e colonne, et le capitaine d’Illiers, moins ancien que moi, prit alors ma place auprès du colonel Corbin.

Quelques minutes furent encore employées à préparer un drapeau tricolore et des sacs à poudre pour les sapeurs du génie. Je me souviens qu’en ce moment quelqu’un s’écria : « Tiens, Curnieu vient d’avoir la tête emportée par un boulet ! » C’était un des canonniers de la batterie qui, en effet, avait été décapité complètement. Je prenais intérêt à entendre