Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/646

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

causer les zouaves qui faisaient partie de la colonne d’attaque et attendaient gaiement le signal de l’assaut ; les plaisanteries et les bons mots se succédaient sans interruption dans leur conversation fort animée. La plupart de ces intrépides soldats étaient Parisiens ; on ne s’en serait pas douté à voir leurs grandes barbes et leurs turbans, insignes de la compagnie d’élite à laquelle ils appartenaient.

« Commandant, dit enfin le général Valée au chef de la batterie, vous allez continuer le feu pendant quelque temps encore, et vous le cesserez au signal que je vous en donnerai ; puis, M. le duc de Nemours lancera la première colonne d’assaut. — Mais, mon général, répondit M. d’Armandy, j’ai brûlé tout ce que j’avais de poudre… Il ne me reste même plus qu’un seul canon chargé. » Nous nous regardâmes tous alors en faisant un peu la grimace. « Eh bien ! tirez-le, dit le vieux général, et après cela… en avant ! car il n’y a pas de temps à perdre ! » La pièce de 24 fit des façons, et le premier servant de droite s’y prit à trois reprises différentes sans parvenir à allumer l’étoupille, ce qui fut cause que M. d’Armandy, impatienté, lui arracha la lance des mains et mit lui-même le feu à la pièce.

Ainsi, nous avions consommé tous les approvisionnemens de notre artillerie, nos chevaux mouraient de faim, et il ne restait aux hommes que du biscuit pour quatre jours. Telle était notre terrible situation à ce moment ; nous en sentîmes bien toute la gravité. De la prise de Constantine dépendait non-seulement notre gloire, mais l’existence de l’armée. Si nous étions repoussés, comme l’année précédente, il fallait battre en retraite, abandonner notre matériel, notre parc de siège, nos blessés, nos malades, et, laissant nos chevaux que nous n’avions plus le moyen de nourrir, revenir tous à pied, généraux, officiers et soldats, jusqu’au camp de Medjez-el-Hammar, harcelés et poursuivis sans doute par l’innombrable cavalerie d’Achmet et par les fantassins victorieux de Ben-Aïssa. La perspective d’un pareil revers ranima les forces de nos soldats épuisés par les veilles et les travaux du siège ; ils savaient que derrière ces murs le repos et l’abondance les attendaient ; tout le monde prit pour devise vaincre ou mourir, et les pauvres fiévreux eux-mêmes devinrent des héros.

Il était sept heures ; il faisait jour. M. le duc de Nemours éleva un mouchoir, la première colonne d’assaut sortit de la batterie par un passage qu’on avait préparé d’avance et s’élança. Le colonel de Lamoricière et le chef de bataillon du génie Vieux étaient en tête. Le tambour battait la charge. Quel moment ! A travers les embrasures nous les regardions avec une anxiété inexprimable ; ils avaient traversé rapidement