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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/647

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l’espace qui les séparait de la brèche, et n’eurent que deux hommes blessés en route : l’ennemi avait été surpris. Lamoricière, sur le haut du rempart, agitait notre drapeau tricolore ; pendant ce temps le reste de la colonne suivait, traversait le glacis et gravissait la brèche. Ce fut un enthousiasme, un bonheur inexprimable pour tous, et des cris de vive le roi répétés par toutes les bouches.

Alors la deuxième colonne s’ébranla. Commandée par le colonel Combes du 47e, elle était formée de la compagnie franche du 2e bataillon d’Afrique, de 80 sapeurs dirigés par 5 officiers du génie, de 100 hommes du 3e bataillon d’Afrique, de 100 hommes de la légion étrangère et de 300 hommes du 47e régiment. Je partis avec cette colonne[1] ; nous traversâmes en courant le glacis, nous marchions par files et j’étais sur le flanc droit de la colonne. Le trajet se fit assez heureusement ; deux hommes seulement furent tués, trois blessés vinrent tomber au pied de la brèche. J’étais très faible ; assez malade des entrailles depuis long-temps, je ne prenais presque aucune nourriture ; aussi arrivai-je fort essoufflé au bas de l’escarpement.

On a souvent entendu parler d’une brèche, de monter à l’assaut ; je déclare que ce n’est pas chose aisée, matériellement parlant. Qu’on se figure, en effet, de gros cubes en pierre de taille, des débris de maçonnerie, au milieu d’une immense quantité de fragmens de bois, de poutres, le tout supporté non par de la terre, mais par de la poussière, sur un talus extrêmement rapide, et l’on comprendra comment j’ai pu tomber trois fois avant d’en atteindre le sommet ; j’ai été la première fois culbuté par un pauvre sapeur du génie qu’une balle avait atteint en pleine poitrine, et qui en expirant vint à rouler sur moi. Enfin j’arrivai en haut, et je m’y assis pour respirer un moment, car j’étais accablé de fatigue. Le baron Frossard, officier de la garde nationale de Paris, qui était attaché au colonel Combes, vint à moi, croyant que j’étais blessé, et reçut lui-même, en me parlant, une balle à la main. Au moment où je me relevais, une détonation épouvantable se fit entendre sur la droite ; elle jeta la plus vive inquiétude parmi nos hommes, qui pensèrent aussitôt que la brèche était minée, que l’assiégé faisait jouer successivement tous ses fourneaux, et que nous allions sauter. Un torrent de soldats repoussés par l’explosion, saisis de surprise et surtout d’horreur à la

  1. Un capitaine Russell, officier anglais au service d’Autriche, fut, de tous les étrangers qui avaient eu la permission de faire la campagne avec l’armée, le seul qui monta à l’assaut. Je me souviens de l’avoir vu arriver en même temps que nous sur la brèche. Il avait un uniforme blanc avec un collet vert.