Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/673

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la Grèce, on voyait et on voit encore la plupart des paysans sans propriété. Exploitant indignement cet état de choses, la Bavière comptait inféoder tous les terrains libres à des colons allemands : introduits dans le pays par bandes successives, ces colons auraient, disait-on, formé plus tard des masses assez considérables pour tenir en échec le parti autochtone. L’exemple du succès des colonisations allemandes dans tant d’autres pays gréco-slaves était séduisant pour la Bavière et effrayant pour la Grèce. Aussi la visite à Athènes de l’héritier du trône bavarois n’ayant point eu de but ostensible, les Hellènes ne manquèrent pas d’en chercher le motif dans les projets de colonies attribués à la cour. La nouvelle glissée dans les journaux fut aussitôt répandue et commentée ; on ne douta plus que le roi de Bavière ne fût prêt à envoyer comme colons vingt mille paysans pour défricher les terres encore sans maîtres du royaume de son fils. Ces craintes, ces bruits alarmans ne firent que fortifier la réaction autochtone. Après avoir expulsé les derniers officiers allemands, la proscription populaire atteignit les simples soldats, et des soldats elle descendit aux ouvriers employés dans les magasins, les forteresses et les fabriques de l’état. Chaque bâtiment qui mettait à la voile au Pyrée emportait à son bord une cargaison de Bavarois. Beaucoup d’entre ces malheureux bannis, arrivés à Trieste, étaient déjà dans un état affreux de dénuement, quoiqu’ils eussent encore, pour regagner leurs foyers, un long voyage à faire à travers l’Autriche. On voyait des pères de famille chargés d’enfans implorer le long des routes la charité publique. Des savans, de braves officiers, des hommes de haute naissance, revinrent ainsi en mendians dans leur patrie, qu’ils avaient quittée autrefois avec l’espérance d’un brillant avenir.

Si, tel que nous venons de le retracer, l’état actuel de la Grèce peut encore autoriser quelques inquiétudes, il témoigne au moins d’un progrès immense sur les tristes années comprises entre 1833 et 1843. Les deux années qui viennent de s’écouler depuis la révolution grecque ont eu pour principal résultat de fonder l’unité morale et politique du pays. Le congrès qui vient de se clore est parvenu enfin, on peut l’espérer, à grouper dans un même faisceau les intérêts des capitaines et ceux des primats ; il a rallié les marchands aux palicars, les Péloponésiens aux insulaires, les pâtres inquiets de la montagne aux paisibles laboureurs de la plaine. Ayant opéré dans son sein cette fusion morale, la société grecque se sent enfin capable de marcher seule et sans protectorat. De toutes les influences qui lui venaient du dehors, la Grèce n’en recherche plus qu’une seule, l’influence française,