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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/683

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l’aristocratie, mais contre la nation tout entière, unie comme elle ne le fut encore jamais, que le tsarisme devra combattre.

La Russie semble elle-même regarder comme impossible que la Pologne ne se lève pas de nouveau pour tenter encore le sort des armes. De là toutes ces mesures d’une cruauté atroce qui indiquent le désespoir bien plus que l’assurance des vainqueurs. La police n’espère plus que dans la terreur qu’elle inspire ; on multiplie les arrestations. L’aspect de la Pologne est celui d’un pays en état de guerre. Des détachemens de Kosaques parcourent en éclaireurs les campagnes et fouillent les moindres villages. La route de Varsovie à Pétersbourg, toute bordée de blockhaus, devient une chaussée indestructible. Partout de nouvelles forteresses s’élèvent. Celle qui commande Varsovie est vraiment formidable, et tellement disposée que ses batteries pourraient en quelques heures faire de la capitale un monceau de cendres ; mais convaincu que la ruine de leurs villes n’arrêtera point les patriotes polonais, le tsar ne peut se rassurer, et imagine chaque jour de nouveaux plans de défense. C’est ainsi qu’il vient de créer une flottille de barques canonnières en fer, destinées à approvisionner et à faire communiquer entre elles toutes les forteresses des côtes maritimes et fluviales de la Pologne. Il resterait ainsi maître des eaux, même lorsque tout le pays serait couvert d’insurgés.

Ce n’est pas seulement le cabinet russe qui s’attend à voir éclater en Pologne de nouvelles révoltes. La frayeur a saisi également les cabinets d’Allemagne. Pour eux, la propagande slave est devenue un spectre non moins formidable que la propagande française ; il ne se passe pas d’années que les gouvernemens germaniques n’éprouvent pour la sûreté de leurs possessions usurpées des terreurs et des alertes plus ou moins vives[1]. Pour décréditer les plans des patriotes, la police s’efforce de les présenter comme des complots communistes, formés dans le but d’assassiner tous les propriétaires. Ces calomnies effraient, il est vrai, les ames crédules, et permettent aux oppresseurs d’exercer les plus grandes violences. Tel est l’effet de ce régime de terreur, que des voyageurs qui ne font que traverser Varsovie peuvent croire la nationalité polonaise anéantie. Dans cette capitale, en effet, on ose à peine parler haut, tant la masse des espions secrets épouvante

  1. C’est ainsi qu’il y a trois mois, dans le grand-duché de Posen, les autorités, trompées par des informations inexactes, crurent qu’à un jour donné la population entière se lèverait en armes ; elles firent sortir ce jour-là toutes les troupes des casernes, avec cartouches et canons.