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les habitans ; le Varsovien se concentre dans son foyer à tel point qu’il ne sait pas même ce qui arrive à quelques pas de sa demeure. Cependant, si l’on pénètre dans les familles, on n’y trouvera pas un Russe. Varsovie ressemble toujours à une capitale occupée par l’ennemi. Des détachemens de cavalerie y stationnent nuit et jour sur les places, prêts à s’élancer au premier signal. De la place de Saxe, qui est le centre stratégique de la ville, des patrouilles à cheval partent incessamment pour parcourir les différens quartiers. Malgré le respect général que lui attire l’impartialité bienveillante de son administration, le vieux maréchal Paskevitch ne sort jamais qu’entouré d’un nombreux état-major et suivi de sa garde circassienne. Les employés du tsar n’ont pas plus de rapports avec les Polonais qu’ils n’en auraient avec une population musulmane. Les salons russes et les salons polonais demeurent entièrement distincts. C’est surtout au fond des campagnes que les habitans, protégés par la solitude contre l’espionnage politique, se communiquent sans crainte leur indignation et leurs espérances. Là, tous, nobles et paysans, appellent le martyre ; là, tout indique un pays qui se prépare lentement, mais avec une résolution inébranlable, à de nouvelles luttes pour son indépendance.

Si nous passons de la Pologne à la Bohème, nous trouverons cet autre royaume slave travaillé par les mêmes idées de réforme sociale et de renaissance politique. Quoique l’Autriche ne lui ait point encore concédé les franchises de langage que le cabinet prussien croit ne plus pouvoir refuser aux diétines de Posen et de Silésie, l’assemblée des états de Prague n’en marche pas moins tête levée dans la voie patriotique qu’elle a su s’ouvrir. Le petit budget dont elle dispose est consacré exclusivement à des travaux qui ont pour objet de réveiller l’esprit national. Malgré les chaînes qui pèsent sur elle, cette diète montre depuis 1840 une énergie inaccoutumée. Elle a forcé le burgrave (gouverneur civil) de Prague à se démettre de sa charge, parce qu’il avait fait des dépenses contraires aux intentions des états. La diète bohème exige maintenant que les fonctionnaires autrichiens lui rendent compte de la gestion de ceux des revenus du royaume qui n’entrent pas dans le fisc impérial, et elle veut qu’ils soient employés dans un but patriotique. Enfin, en 1844, cette diète a obtenu, pour la première fois depuis quatre-vingt-dix ans, la faveur d’envoyer à Vienne une députation officielle pour porter au trône de son roi les désirs du pays. Ces désirs (desideria) et projets de réforme ont été solennellement reçus par l’empereur et roi entouré de sa cour. Aussitôt une commission où figuraient le ministre et prince bohème Kolovrat,