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les engagemens que je prends ici solennellement ! Si j’en révèle jamais la moindre partie, puisse la société tout entière, à laquelle j’appartiens, ainsi que tous les hommes justes, nie vouer au mépris tant que je vivrai ; puisse ce qui est maintenant devant moi plonger mon ame dans l’éternel abîme de misère ! Amen. »


Tout horrible qu’est ce langage, il n’approche pas de celui que l’union des fileurs (cotton spinners) de Glasgow mettait dans la bouche de chaque récipiendaire. Jamais serment prêté au chef d’une bande de voleurs n’a exprimé plus ouvertement la haine de la loi morale, et jamais la liberté humaine n’a abdiqué au profit de plus atroces passions. Voici le texte de la formule écossaise.


« Moi X… devant Dieu tout-puissant et devant les témoins ici présens, je jure volontairement d’exécuter, avec zèle et avec promptitude, autant qu’il dépendra de moi, toute tâche ou injonction que la majorité de mes frères m’imposera dans notre intérêt commun, comme de punir les traîtres (Knobs, ce sont les ouvriers qui travaillent malgré l’injonction de l’union), d’assassiner les maîtres qui nous oppriment ou qui nous tyrannisent, de démolir les ateliers qui appartiennent à des propriétaires incorrigibles, et de contribuer aussi avec joie à nourrir ceux de mes frères qui auraient perdu leur emploi par suite de leurs efforts contre la tyrannie, ou qui auraient renoncé au travail pour résister à une réduction de salaire. Je jure, de plus, de ne jamais divulguer l’engagement que je prends ici, si ce n’est dans les occasions où j’aurai été désigné pour faire prêter le même serment aux personnes qui voudront devenir membres de notre association. »


Et ce n’étaient pas de vaines paroles. Lorsque le comité directeur avait décrété la peine de mort contre un homme, ouvrier ou maître, il trouvait toujours, parmi les membres de l’union, comme autrefois les tribunaux vehmiques, quelque bourreau pour l’exécuter. Si le meurtrier hésitait à tenir l’affreux serment, on lui donnait de l’argent, on payait ses dettes, ou même on se bornait à l’encourager par quelques verres de whiskey. Les seules victimes en Angleterre furent M. Thomas Ashton et un ouvrier dans les environs de Leeds ; mais, à Dublin, dix ouvriers furent assassinés en trois ans ; à Glasgow, l’on n’épargna pas même les femmes, et toutes sortes d’armes furent employées, depuis le vitriol jusqu’aux armes à feu. Un procès, qui frappa la Grande-Bretagne de terreur, fit découvrir au sein des classes ouvrières une véritable confédération de Thugs qui s’arrogeaient le droit de vie et de mort sur les individus[1].

La cause des ouvriers a été perdue le jour où ils l’ont souillée par

  1. Trial of the Glasgow cotton spinners, in-8 », 1838.