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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/690

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l’un de ces chevaux, il y a quelque petite fille saxonne, blonde et transparente, avec ses petites jambes toutes nues qui vont se perdre dans les poils de la crinière. Les femmes, au surplus, montent à cru les chevaux de leurs pères, et dans les rencontres fréquentes des contrebandiers et des garde-côtes, on les voit, ou plutôt on les a vues, car ces mœurs commencent à s’éteindre, manier résolument l’épée courte du matelot et le pistolet d’abordage. Les noms comme les habitans de ces parages (North-Folk, Norfolk ; — South-Folk, Suffolk ; — East-Saxon, Essex) sont encore aujourd’hui sans mélange de race et de sang normand. Cracknell, Catchpole, Wringnell, Springtree, vrais noms roturiers, ont traversé les siècles sans déroger, sans se mêler à la noblesse des Beauclerc (Beauclerck) et des Courcy (Churchill) de Normandie.

La ville d’Ipswich, bâtie presque à l’embouchure de l’Orwell, est le centre du mouvement agricole et commercial de tout ce canton. Le voyageur l’aperçoit du haut de la Colline de l’Évêque (Bishop’s-Hill), après avoir passé Nacton, et s’il tourne le dos à la mer, il découvre et domine une vaste et gracieuse étendue de pays. Un amphithéâtre inégalement boisé, d’où s’élèvent comme par étages des forêts et des prairies semées de douze bourgades ou villes annoncées par les aiguilles de douze clochers gothiques, borne l’horizon à plusieurs milles de distance. Au loin serpente l’Orwell, qui s’élargit en se rapprochant de la mer, pénètre dans plusieurs vallées, disparaît et reparaît sous la lumière et dans l’ombre, décrit une courbe élégante, et après avoir entouré de son arc de cercle la jolie ville d’Ipswich, située au pied de la colline, forme ces marécages dangereux dont nous avons parlé, et se précipite dans le Stour. Souvent ces rives ont servi d’études favorites aux paysagistes anglais, qui recherchent curieusement le contraste assez rare du mouvement maritime et des beautés agrestes, le mélange d’une culture riante et des sauvages aspects d’une côte désolée.

Vers la fin du dernier siècle, une vieille superstition attachée à l’un des points les plus élevés et les plus stériles de la plage, qui se nomme Bawdsey Cli ff ou Pic de Bawdsey, subsistait encore et semblait même se raviver. Les garde-côtes (la plupart Irlandais), stationnés de distance en distance derrière les pyramides de pierres sèches et de débris maritimes, pour faire le guet et découvrir les embarcations des contrebandiers, toujours errantes ou cachées dans les échancrures du rivage, n’avaient pas peu contribué à entretenir cette terreur populaire ; rien n’est plus superstitieux qu’un Irlandais. Le gouvernement les employait cependant de préférence ; ils étaient braves, gais, actifs et vigilans ;