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Cet incident accrut la fureur de William, qui, voyant Luff hors de combat, visa son adversaire au bras gauche, et le renversa complètement désarmé. Cependant le vieux Robinson accourait, sa perche à la main, et la jeune fille, revenue de sa première frayeur, se relevait pour fuir du côté de la forêt, où les deux ravisseurs, inquiets de leur propre sort, ne pensèrent plus à la suivre. Ils ne tardèrent pas à faire force de rames vers le brick, mécontens de leur soirée, et comprenant bien qu’il n’y avait pour eux de sûreté que dans un prompt départ.

Barry, transporté dans la petite maison de son père et ensuite dans la ferme d’Alneshbourne, devint l’objet des soins assidus de Marguerite ; ainsi la pauvre fille, après avoir été la garde-malade de son amant, devenait celle du rival de Laud. La blessure était grave et dangereuse ; il semblait à Marguerite que son devoir fût de sauver celui dont la fureur de Laud avait mis la vie en danger : elle ressentait tout ce combat de la passion et de la raison si souvent exploité par l’art dramatique ; mais elle ne dit à personne l’angoisse qu’elle ressentait, et fut seulement, comme il arrive aux êtres passionnés, plus silencieuse, plus concentrée et plus distraite que jamais. On commençait à rire d’elle parmi ses égaux, et ceux dont elle avait repoussé les offres de mariage se vengeaient. Barry revint peu à peu à la vie sous les yeux de Marguerite, et seul il eut la générosité de la défendre ; il avait failli perdre la vie pour elle, et c’est une grande raison d’aimer davantage que de s’être sacrifié. Cependant il se tramait sur la plage une conspiration des Barry et de leurs amis contre William, et des fraudeurs contre les Barry. L’identité du capitaine Hudson et de Laud se trouvait ébruitée, et celui qui l’attestait de la manière la plus positive était Robinson, que sa curiosité idiote avait attiré sur la scène du drame que nous venons de raconter. Force fut encore à William de renoncer au nom de Hudson pour y substituer celui de Cook ; un voyage au Canada, entrepris pour s’emparer d’une portion du commerce des fourrures, devait effacer le souvenir de ces tragiques violences et dépister ses ennemis. Laud devint donc un véritable corsaire, la destinée inévitable de ces sortes de vies étant de se précipiter, sans pouvoir s’arrêter, sur la pente même de leurs propres fautes.

Marguerite ressentit bientôt les effets de sa liaison avec Laud. Les protecteurs qu’elle avait rencontrés dans sa jeunesse se retirèrent ; la misère, la faim, le froid et le désespoir pénétrèrent dans la chaumière de Nacton. On n’entendit plus parler de Laud, dont les expéditions lointaines bronzèrent l’audace déjà si énergique et si violente. Un jour, la jeune fille vit entrer dans sa cabane Jean Barry, prêt à s’embarquer,