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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/712

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Le fils et le frère de Marguerite essayèrent inutilement de racheter ce singulier monument de la condamnation et de l’exil de leur mère et de leur sœur. Les directeurs du musée s’obstinèrent à garder le faisan doré que le musée d’Ipswich conserve encore, et grace aux deux volumes avec planches (que M. Richard Cobbold a pris la peine de dessiner et de graver lui-même), les erreurs de Marguerite et ses souffrances se dirigent aujourd’hui vers cet horizon obscur et inconnu qu’on appelle la postérité.

Telle est la trace vive et singulière laissée en deux pays éloignés par cette personne remarquable, dont la condition était humble. De l’aveu de ceux qui l’ont connue, elle n’eut d’autres torts que ceux de sa passion, rendue plus énergique par cette puissance de caractère qui la distinguait. Il est certain que l’amour, chez nos plus délicates héroïnes, est égalé ou dépassé par les sacrifices de Margaret. Elle ne fait pas une faute, elle ne se départ pas de la droite ligne, si ce n’est pour celui qu’elle aime. C’est la fille la plus pure, c’est l’esprit le plus juste, c’est le cœur le plus honnête ; seulement, dès qu’il paraît, tout est dérangé, tout est renversé. Il lui a jeté un sort, disent les paysans. Une attraction positive s’opère, celle du fer vers l’aimant, de la fleur vers la lumière, et Marguerite est emportée loin d’elle-même.

Il est curieux d’étudier ainsi sur nature et dans une condition de vie toute naïve, chez Jean Barry et chez Marguerite, cette portion de l’amour étrangère à l’esprit, au raisonnement, à la naissance, force profondément cachée dans les secrets mêmes de Dieu et de la création, — analysée dans sa nudité corrompue par l’auteur de Manon Lescaut, que Racine a révélée et voilée par tant de délicatesses et de traits enflammés dans Bérénice et Phèdre, dont les énervés ont fait une vertu, les dévots un vice ; — ce pouvoir enfin adoré comme une force démoniaque et invincible, par les anciens, qui ne se trompaient pas.


F. DE LAGENEVAIS.