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XIe siècle, dont il attribue la suppression à Grosteste, évêque de Lincoln. Malheureureusement ce Grosteste ne vivait qu’au XIIIe siècle, et Warton, qui prétendait à l’érudition et à la poésie, était aussi léger comme érudit qu’il était pesant comme poète. Le progrès de cette ornementation théâtrale, qui s’introduisit dans les églises et finit par y régner, doit avoir été assez lent ; il est probable que la marche en aura été parallèle à celle de l’architecture catholique ; la grande vogue des mystères a dû coïncider à peu près avec cette efflorescence brillante et bizarre qui, du XIIe au XIVe siècle, sema les cathédrales de tant d’images bouffonnes et tragiques, sculptées avec profusion dans le marbre et dans la pierre.

Ici une importante question se présente. La sévérité antique des mœurs chrétiennes, surtout en Allemagne, permet-elle de supposer que les drames de notre religieuse aient été représentés ? M. Magnin résout le problème affirmativement. M. Price, éditeur de Warton, dont il a souvent corrigé les erreurs, est d’un avis contraire. On peut alléguer plusieurs motifs en faveur de cette dernière opinion. La Basse-Saxe, à laquelle appartenait Hrosvita, était alors moins civilisée et plus voisine que l’Allemagne méridionale de cet état de mœurs que Tacite a décrit : vastes métairies, immenses forêts semées de quelques villes rares et peu habitées, le grand empire de Charlemagne affaissé en se divisant, enfin une demi-barbarie qui laisse plus facilement concevoir le travail isolé d’une imagination émue, se complaisant à dramatiser la légende, que les pompes publiques d’une représentation ecclésiastique. À ces motifs généraux et tirés de la situation même du pays, on peut ajouter des observations plus précises ; les indications de scènes ou didascalies sont très peu nombreuses dans le manuscrit de la nonne, et l’une de ces notes a été détachée du texte même par Conrad Celtes, le premier éditeur.

Des raisons fort graves me semblent militer contre l’opinion de M. Price, que M. Magnin n’adopte pas, comme nous l’avons dit. L’Allemagne du nord, toute barbare qu’elle était, se trouvait soumise à un mouvement de civilisation ecclésiastique, nécessairement latine, qui n’a pas été bien approfondi ; l’impulsion donnée par Charlemagne était amortie, mais n’était pas éteinte. La poésie primitive des races teutones se taisait sous l’impression vive, fraîche et puissante, de la foi nouvelle qui s’emparait de la Germanie, et qui, éloignant ces peuples neufs de leurs propres dialectes, leur faisait oublier leurs chants sauvages. Du VIIIe au XIe siècle, l’éducation ecclésiastique et romaine produisait en Allemagne et en Angleterre une foule de glossaires, de