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Déjà l’Autriche avait décerné à Mozart une statue colossale ; vous connaissez le monument de Salzbourg, cette physionomie si profondément empreinte de calme et de sérénité, qu’on se prend à s’écrier à son aspect : Puisque c’est là Mozart, il songe à Titus plutôt qu’à Don Juan. La Saxe prépare à Weber de semblables honneurs, et voilà désormais Beethoven intronisé à Bonn et prenant place sur le sol natal, vis-à-vis du fameux électeur de la cathédrale. On ne dira plus que l’Allemagne se montre ingrate envers ses musiciens illustres, et remarquez que là-bas du moins on n’attend pas qu’ils soient morts pour leur rendre hommage ; je n’en veux d’autre preuve que ce qui se passait à Berlin ces jours derniers, lorsque le roi de Prusse accueillait à sa table avec tant de bienveillance et d’intérêt M. Spohr, dont il venait d’applaudir la partition nouvelle, cet opéra des Croisés, qu’on proclame avec enthousiasme le chef-d’œuvre du maître. En France, nous ne connaissons que fort peu l’auteur de Jessunda et de Faust, et, le connussions-nous davantage, il n’y a point à supposer qu’il nous inspirerait de très vives sympathies. Comme harmoniste, c’est un musicien de premier ordre ; quant à la mélodie, telle que les Italiens et nous la comprenons, on serait mal venu de la lui demander. Je ne parle pas de sa manière d’écrire pour les voix, laquelle égale, si elle ne le dépasse, le sublime dédain de Beethoven. C’est partout et toujours de la musique instrumentale, et peut-être ces compositions, qui plaisent si fort aux Allemands, risqueraient-elles, en dépit des beautés éminentes qu’elles renferment, de paraître obscures à des gens qui ne lisent point Hegel dans les entr’actes. S’il était permis de rapprocher les deux extrêmes, je dirais que Spohr est une espèce de Rossini germanique, en ce sens qu’il use sans réserve de ses moyens d’effet, et prodigue les combinaisons harmoniques avec le même luxe et la même fécondité que l’auteur du Barbiere et de la Gazza ses combinaisons mélodieuses. J’ajouterais que cette musique a les qualités de ses défauts, et que ce style châtié, abstrait, qui pourrait s’appeler en musique le style philosophique, a du moins l’avantage d’exclure toute espèce de platitude, comme il s’en rencontre trop souvent dans les compositions des écoles italienne et française. Entre Beethoven et Spohr, il y a, selon moi, la différence du génie à l’esprit : l’un enthousiasme, l’autre intéresse.

Au nombre des pèlerins qui ont entrepris ces jours derniers la croisade rhénane, on cite M. Léon Pillet ; seulement, s’il faut en croire le bruit des journaux, ce n’est point tout-à-fait à Beethoven qu’en voulait M. le directeur de l’Opéra, il s’agissait pour lui d’un but moins pieux et moins désintéressé. Beethoven a beau être un grand homme, il n’en a pas moins cessé d’écrire, et les directeurs de spectacle n’ont guère le loisir de se livrer à ce culte sentimental des morts ; si l’auteur de Fidelio vivait encore, à la bonne heure ! Fût-il même ce vieillard maussade et quinteux que vous savez, je gage que M. Léon Pillet, se trouvant sur les lieux, eût profité de l’occasion pour risquer une démarche ; de Cologne à Bonn, il n’y a qu’un pas : malheureusement Beethoven n’existe plus qu’en effigie ; et que peut la statue d’un grand