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admirablement. Hâtons-nous d’ajouter à la liste de ses mérites un avantage bien remarquable chez un Italien ; nous voulons parler du goût qu’il apporte dans le choix de sa phrase, de la façon toute sérieuse dont il la travaille. Verdi n’improvise pas, il compose ; aussi ses ouvrages ne se comptent point par centaines. Quatre opéras : Il Conte di San Bonifacio, I Lomnbardi, Ernani, Nabuco, forment à peu de chose près le bagage du jeune maître. Dans Nabuchodonosor, que le Théâtre-Italien doit représenter cet hiver, Ronconi chantera le rôle du monarque assyrien, écrit jadis à son intention, et qui lui a valu déjà tant de triomphes ; on parle en outre de M. Dérivis pour le personnage du grand-prêtre. Lorsqu’il figurait au nombre des pensionnaires de l’Académie royale de Musique, M. Dérivis possédait, on s’en souviendra, une voix de basse d’une excellente sonorité, mais un peu fruste et rebelle à l’intonation ; aujourd’hui cet organe, bien qu’il ait un peu perdu, dit-on, de son timbre métallique, nous revient assoupli par l’étude et la pratique du chant italien, le plus favorable, comme on sait, qu’il y ait au monde pour la voix : on peut donc supposer que des succès d’un nouveau genre l’attendent. Quel dommage que cet interdit ridicule dont nos poètes s’obstinent à frapper les opéras écrits sur des sujets de leur création doive empêcher l’Ernani de se produire sur notre scène ! Si M. Hugo voulait seulement s’y prêter le moins du monde, tout irait pour le mieux. Il y a là une cavatine de doña Sol qui, chantée par la Grisi, transporterait la salle d’enthousiasme ; et quel admirable et pathétique morceau que ce trio final entre Gomez, Ernani et doña Sol ! On ne s’imagine pas d’élan plus chaleureux, plus irrésistible ; c’est le drame lyrique dans toute la grandeur de l’acception. Une scène pareille exécutée par les chanteurs qu’on a sous la main, Gardoni, Barroilhet et Mme Stoltz, serait capable de conjurer le sort de l’Opéra. On ne cesse de nous répéter que l’Académie royale de Musique périt faute de musiciens ; en voici un tout trouvé, l’auteur de Nabuchodonosor et d'Ernani, un compositeur fait à souhait pour les conditions du genre de notre scène : aussi a-t-on bien garde de s’adresser à lui. Au lieu de vous en aller poursuivre sur les bords du Rhin cette chimérique partition de M. Meyerbeer, il fallait demander à M. Scribe son meilleur poème, et prendre à l’instant la route d’Italie. Verdi, croyez-moi, n’eût point tant fait le difficile, et dans six mois peut-être eussiez-vous eu dans les mains de quoi tenter hardiment la fortune. Mais, non ; il nous faut à toute force rester dans l’ornière battue. M. Meyerbeer, M. Donizetti, M. Halévy, nous ne sortons point de là ; et si de ces trois maîtres il arrive que les deux premiers se taisent faute de bonne volonté, et le troisième faute d’idées, on ne sait plus à quel saint se vouer, on invoque le Roi David.

L’Opéra-Comique a donné, selon la coutume, son ouvrage d’Auber : seulement, chose étrange et qui depuis des années ne s’était vue, cette fois le succès a manqué. Conçoit-on que des hommes aussi experts en matière de théâtre que les auteurs de la Barcarole doivent l’être puissent se tromper de la sorte ? Comment en pareil cas un musicien n’a-t-il point le courage de dire à son poète :