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plus de patience et de discipline que n’en pouvaient avoir des multitudes enrôlées de la veille. L’émeute était d’une politique plus intelligible et plus appropriée au tempérament du peuple ; il s’y précipita tête baissée, et la promena, six mois durant, d’un bout à l’autre du royaume-uni. Dès le mois de mai, Vincent donnait le signal dans le pays de Galles, où les chartistes parcoururent les campagnes, fabriquant des piques et enlevant les armes des fermiers ; plusieurs individus ayant été arrêtés à Llanidloe, le peuple, armé de fusils, enfonça les portes de la prison, battit la police et délivra les détenus. Dans le quartier de Finsbury-Square, à Londres, les insurgés se montrèrent moins braves ; à la première démonstration de la police, ils prirent la fuite, pendant qu’un de leurs orateurs se plaignait de ne pas voir à leur tête quelques gamins de Paris pour leur apprendre à attendre de pied ferme la force armée ; à Kircmuir, en Écosse, la prison fut forcée ainsi qu’à Bury, dans le comté de Stafford ; dans les poteries, une tentative semblable provoqua un conflit entre la troupe et le peuple, on échangea des coups de fusil : trois hommes périrent, et quarante furent blessés.

On peut juger des desseins des chartistes par les discours qu’ils tenaient et par les placards colportés dans les meetings. A Bristol, ils arborèrent un drapeau avec cette devise : « La liberté ou la mort ! » à Glasgow, une main saisissant un poignard était peinte sur leur bannière avec ces mots : « Nous réduirez-vous à cette extrémité ? » à Newcastle on Lyme, quinze mille hommes s’assemblaient, gens de la campagne pour la plupart, portant devant eux des placards sur lesquels on lisait : « Il vaut mieux périr par le glaive que par la faim. — Un jour de liberté est mille fois préférable à un siècle de servitude. -L’homme est toujours un homme ; où est son supérieur ? Il faut convertir le fer de nos charrues en épées. » A Manchester, les ouvriers mineurs des environs entraient en ordre de bataille, avec des provisions de poudre et enseignes déployées. Sur les bannières étaient inscrits ces mots : « Les droits de l’homme, le suffrage universel, ou la mort ; l’union fait la force. — Tremblez, tyrans, le peuple se réveille ! » Comme pour expliquer le sens caché de ces sentences, Feargus O’Connor disait : « Je n’engagerai pas le peuple à se mesurer avec des piques ni avec des bâtons contre des soldats bien armés et bien disciplinés ; mais, à la première agression des soldats, il doit attaquer les propriétés… » Un autre orateur allait plus loin, et voulait ajouter l’incendie au pillage : « Si le peuple n’est pas libre et heureux, l’époque n’est pas éloignée où la tragédie de Sodome et de Gomorrhe sera