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l’un et de faire peser sur l’autre toute la sévérité de l’histoire. Assurément rien n’est plus illégal que l’expédition des corps francs, rien n’est plus abominable que l’assassinat de M. Leu ; mais aussi, quoi de plus horrible que les violences du fanatisme catholique à Lucerne, et comment ne pas se sentir transporté d’indignation, quand on songe que des milliers de citoyens vont peut-être s’entr’égorger, que la Suisse, depuis si long-temps paisible, honnête, laborieuse, va être précipitée dans l’abîme des guerres civiles et des révolutions, parce qu’il y a dans un collége de Lucerne sept jésuites, dont le nom même est inconnu, et qui pourraient encore aujourd’hui, par une retraite volontaire, prévenir une catastrophe, si le fanatisme ne les retenait, et si l’humanité n’était moins forte chez eux que l’orgueil ?

Plus heureuse que la Suisse, la Belgique, qui connaît aussi les luttes religieuses, renferme dans son sein des élémens capables de les calmer. La crise ministérielle est terminée à Bruxelles. Le roi Léopold, en formant un ministère de transaction, a pris le parti que lui commandaient les circonstances. Appeler les chefs de l’opinion libérale, c’eût été prononcer la dissolution de la chambre ; donner le pouvoir aux chefs de l’opinion catholique, c’eût été agir dans un sens contraire aux élections du 10 juin. Pour tenir la balance entre les opinions exclusives et rapprocher les nuances modérées des partis, le roi Léopold a fixé son choix sur M. Van de Weyer, qui sacrifie à l’honneur de remplir cette tâche une position paisible et enviée. M. Van de Weyer était depuis treize ans ministre plénipotentiaire de Belgique à Londres, où son crédit près de la reine Victoria, joint à son mérite personnel et à l’éclat d’une grande fortune, lui donnait dans la diplomatie beaucoup de relief. Libéral et modéré, esprit fin, élégant, publiciste remarquable, de professeur devenu diplomate, plein de bienveillance et d’affabilité dans ses manières, le nouveau chef du cabinet belge rencontrera dans la chambre beaucoup de sympathies. Il a les qualités d’esprit nécessaires pour entreprendre l’œuvre de conciliation dont il s’est chargé. Aura-t-il assez d’énergie et de persévérance pour lutter contre les passions liguées contre lui ? Saura-t-il résister à la fois aux attaques du dehors et aux influences pernicieuses du dedans ? C’est un problème que l’avenir seul peut résoudre. On paraît craindre que M. Van de Weyer, étranger depuis treize ans aux luttes parlementaires, n’ait pas l’autorité de parole et l’ascendant que réclame la direction d’un parti. On lui reproche d’être un homme nouveau. Si ce caractère peut lui nuire sous certains rapports, les inconvéniens qu’il peut avoir seront du moins compensés par cet avantage, que M. Van de Weyer, en prenant le pouvoir, est libre de tout engagement qui puisse gêner sa marche. On insiste sur les difficultés qu’il rencontrera du côté de ses collègues, MM. Malou, d’Anethan et Deschamps, représentans de l’opinion catholique dans le cabinet. Si les trois ministres dont il s’agit avaient les desseins qu’on leur suppose, le nouveau cabinet ne serait pas appelé à fournir une longue carrière ; mais rien n’a démontré jusqu’ici que M. Dechamps, le nouveau ministre des affaires étrangères, fût possédé d’un aveugle esprit de réaction et d’intolérance. Il en est