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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/78

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l’une sous le commandement de John Frost, magistrat destitué et délégué chartiste, l’autre sous la conduite de son fils, jeune garçon de quatorze ans, pénétra dans Newport, où les deux corps firent leur jonction devant l’hôtel-de-ville. Cette position n’était défendue que par soixante hommes du 45e régiment et par quelques constables spéciaux ; les magistrats municipaux s’y étaient renfermés. Les insurgés, après avoir poussé trois hourras, commencèrent l’attaque avec fureur. En un clin d’œil, toutes les fenêtres furent brisées ; une grêle de pierres, de balles et de lingots, pleuvait sur les défenseurs de ce retranchement improvisé, et déjà le maire, M. Philipps, ainsi que plusieurs constables, étaient blessés. À ce moment critique, l’officier qui commandait le détachement fit une sortie à la tête de trente hommes et chargea intrépidement les assaillans. Ceux-ci, après une faible résistance, prirent la fuite, abandonnant sur la place leurs armes et leurs blessés, dont seize étaient mortellement atteints.

En récapitulant les divers conflits auxquels donna lieu le mouvement chartiste de 1839, on est uniformément frappé de la facilité que les autorités locales et le gouvernement trouvent à réprimer les troubles, même lorsqu’ils éclatent sur plusieurs points à la fois. L’administration ne demande pas de pouvoirs extraordinaires, elle se borne à proclamer l’illégalité des rassemblemens armés et à diriger quelques escouades de policemen vers les districts où l’agitation se manifeste. Quant à l’émeute, elle ne tient nulle part devant la force publique ; à Birmingham, une charge de cavalerie suffit pour dégager, et cela au milieu de la nuit, les rues occupées par une multitude que le succès anime ; à Newport, dix mille hommes bien armés se retirent, à la première décharge, devant une demi-compagnie d’infanterie. Ce n’est pas ainsi que les choses se passent en France : sans parler des journées de juillet 1830, qui rallièrent toutes les classes de la population parisienne contre le drapeau de la restauration, qui n’a pas admiré, tout en réprouvant la cause qui leur mettait les armes à la main, l’héroïque ténacité des insurgés de 1832 et 1834 ? Cinq cents hommes résistant pendant deux jours, dans le cloître Saint-Méry, aux attaques d’une garnison nombreuse ; des ouvriers disputant pied à pied la ville de Lyon au canon d’une armée ; voilà ce qui serait impossible en Angleterre. Il y a cette distance entre les classes inférieures des deux contrées, que les ouvriers anglais n’en sont encore qu’à l’émeute, tandis que les ouvriers français, même quand le pays n’a plus de révolution à faire, sont tous les jours capables d’une insurrection.

Pour expliquer cette différence, M. Roebuck a dit dans la chambre