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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/79

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des communes, aux applaudissemens de lord John Russell et de sir Robert Peel : « De l’autre côté de la Manche, la force est le pouvoir qui tient le peuple en respect ; mais dans le pays où nous vivons, l’obéissance à la loi règne parmi toutes les classes. Ici, dans le plus nombreux rassemblement et au plus fort de l’émotion populaire, le constable s’avance et va saisir, au milieu de la foule, l’homme le plus vigoureux ainsi que le plus influent… Si le peuple désirait l’anarchie et la confusion, quelle force physique pourrait le contenir[1] ? » L’éloge aurait paru plus légitime il y a dix ans ; mais si la classe supérieure et la classe moyenne en sont toujours dignes, on ne peut plus l’appliquer aux classes inférieures sans risquer d’être démenti par les faits. Ce qui prouve que le peuple respecte les lois, c’est quand il s’abstient de les attaquer et quand il obéit sans hésiter aux autorités qui les représentent ; mais quand, après les avoir attaquées, il s’enfuit devant les coups de fusil et n’attend pas les coups de sabre, cela prouve, au contraire, qu’il ne rend qu’à la force l’hommage qu’il devait à la loi.

Voilà bientôt sept ans que la révolte est en permanence dans la Grande-Bretagne ; la force armée et une partie de la population en sont venues cent fois aux mains ; le sang a coulé, la propriété a été mise au pillage, et l’on peut voir encore dans quelques villes les décombres qui attestent ces déplorables exploits. C’est le moment que l’on choisit pour nous vanter l’attachement des ouvriers anglais à l’ordre légal, pour les exalter sur ce point aux dépens de l’Europe ! M. Roebuck, et la chambre des communes avec lui, s’imaginent donc que l’Europe ne lit pas les journaux anglais, et qu’on n’a jamais entendu parler à Paris, à Berlin ni à Vienne, des excès de Birmingham et de Newport ? « Ce qui fait la force de la loi dans la Grande-Bretagne, a dit sir Robert Peel, c’est la conviction que le peuple a de sa justice[2]. » Cette conviction, que le premier ministre juge nécessaire à l’autorité de la loi chez un peuple libre, les ouvriers de l’Angleterre ne l’ont plus. Ils ne posent pas un principe et ils ne font pas une démarche qui ne soit une protestation contre l’ordre légal. Celui qu’ils conçoivent peut être chimérique, mais celui qui règne les blesse par trop de côtés pour qu’ils reconnaissent dans le fait l’expression exacte du droit.

  1. Speech on the motion of M. Duncombe, 3 may 1842.
  2. « But what had given to that law its influence ? — It was the conviction, on the part of the people, that is was just. » (Sir Robert Peel’s speech, 3 may 1842).)