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entre la convenance et l’utilité, qu’un objet, pour être beau, n’a pas besoin d’être utile, mais qu’il n’est pas beau s’il ne possède de la convenance, s’il y a désaccord entre la fin et les moyens.

On a cru trouver le beau dans la proportion, et c’est bien là, en effet, une des conditions de la beauté ; mais ce n’en est qu’une. Il est certain qu’un objet mal proportionné ne peut être beau. Il y a dans tous les objets beaux, quelque éloignés qu’ils soient de la forme géométrique, une sorte de géométrie vivante. Mais, je le demande, est-ce la proportion qui domine dans cet arbre élancé, aux branches flexibles et gracieuses, au feuillage riche et nuancé ? Qui fait la beauté terrible d’un orage, qui fait celle d’une grande image, d’un vers isolé ou d’une ode sublime ? Ce n’est pas, je le sais, le manque de loi et de règle, mais ce n’est pas non plus la règle et la loi ; souvent même ce qui frappe d’abord est une apparente irrégularité. Il est absurde de prétendre que ce qui nous fait admirer toutes ces choses et bien d’autres est la même qualité qui nous fait admirer une figure géométrique, c’est-à-dire l’exacte correspondance des parties.

Ce que nous disons de la proportion, on le peut dire de l’ordre, qui est quelque chose de moins mathématique que la proportion, mais qui n’explique guère mieux ce qu’il y a de libre, de varié, d’abandonné dans certaines beautés.

Toutes ces théories, qui ramènent la beauté à l’ordre, à l’harmonie, à la proportion, ne sont au fond qu’une seule et même théorie, qui voit avant tout dans le beau l’unité. Et assurément l’unité est belle, elle est une partie considérable de la beauté, mais elle n’est pas la beauté tout entière.

La plus vraie théorie du beau est celle qui le compose de deux élémens contraires et également nécessaires, l’unité et la variété. Voyez une belle fleur : sans doute l’unité, l’ordre, la proportion, la symétrie même, y sont, car, sans ces qualités, la raison en serait absente, et toutes choses sont faites avec une merveilleuse raison ; mais en même temps que de diversité ! combien de nuances dans la couleur ! quelles richesses dans les moindres détails ! Même en mathématiques, ce qui est beau, ce n’est pas un principe abstrait, c’est ce principe engendrant une longue suite de conséquences. Il n’y a pas de beauté sans la vie, et la vie c’est le mouvement, c’est la diversité.

L’unité et la variété s’appliquent à tous les ordres de beauté. Parcourons rapidement ces différens ordres.

Il y a d’abord les objets beaux à proprement parler et les objets sublimes. Un objet beau, nous l’avons vu, est quelque chose d’achevé, de circonscrit, de limité, que toutes nos facultés embrassent aisément,