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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/792

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parce que ses diverses parties sont soumises à une juste mesure. Un objet sublime est celui qui par des formes, non pas disproportionnées en elles-mêmes, mais moins arrêtées et plus difficiles à saisir, éveille en nous le sentiment de l’infini.

Voilà déjà deux espèces distinctes de beauté ; mais la réalité est inépuisable, et à tous les degrés de la réalité il y a de la beauté.

Dans les objets sensibles, les couleurs, les sons, les figures, les mouvemens, sont capables de produire l’idée et le sentiment du beau ; toutes ces beautés se rangent sous ce genre de beauté qu’on appelle, à tort ou à raison, la beauté physique.

Si du monde des sens nous nous élevons à celui de l’esprit, de la vérité, de la science, nous y trouverons des beautés plus sévères, mais non moins réelles, qui ont reçu le nom de beautés intellectuelles.

Enfin, si nous considérons le monde moral et ses lois, l’idée de la liberté, de la vertu, du dévouement, ici l’austère justice d’un Aristide, là l’héroïsme d’un Léonidas, les prodiges de la charité ou du patriotisme, voilà certes un troisième ordre de beauté qui surpasse les deux autres, à savoir la beauté morale.

N’oublions pas non plus d’appliquer à toutes ces beautés la distinction du beau et du sublime. Il y a donc du beau et du sublime à la fois dans la nature, dans les idées, dans les sentimens, dans les actions. Quelle variété presque infinie dans la beauté !

Après avoir énuméré toutes ces différences, ne pourrait-on pas les réduire ? Elles sont incontestables ; mais dans cette diversité n’y a-t-il pas d’unité ? n’y a-t-il pas une beauté unique dont toutes les beautés particulières ne sont que des reflets, des nuances, des degrés ou des dégradations ? Il faut résoudre cette question, sans quoi la théorie du beau est un dédale sans issue : on applique le même nom aux choses les plus diverses, sans connaître l’unité réelle qui autorise cette unité de nom.

Ou les diversités que nous avons signalées dans la beauté sont telles qu’il est impossible d’en découvrir le rapport, ou ces diversités sont surtout apparentes, et elles ont leur harmonie et leur unité cachée.

Prétend-on que cette unité est une chimère ? Alors la beauté physique, la beauté morale et la beauté intellectuelle sont étrangères l’une à l’autre. Que fera donc l’artiste ? Il est environné de beautés différentes, et il doit faire un ouvrage un ; car telle est la loi reconnue de l’art. Mais si cette unité qu’on lui impose est une unité factice, s’il n’y a dans la nature que des beautés essentiellement dissemblables, l’art nous trompe et ment. Qu’on explique alors comment le mensonge est la loi de l’art.

Je ne retire ni la distinction du beau et du sublime, ni les autres