Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/793

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distinctions tout à l’heure indiquées ; mais il faut réunir après avoir distingué. Ces distinctions et ces réunions ne sont pas contradictoires : c’est la vérité, c’est la beauté même, dont la grande loi est l’unité aussi bien que la variété. Tout est un et tout est divers. Nous avons distingué la beauté en trois grandes classes : la beauté physique, la beauté intellectuelle et la beauté morale. Le moment est venu de rechercher l’unité de ces trois sortes de beautés. Or, mon opinion est qu’elles se résolvent dans une seule et même beauté, la beauté morale, en entendant par là, avec la beauté morale proprement dite, toute beauté spirituelle.

Mettons cette opinion à l’épreuve des faits.

Placez-vous devant cette statue d’Apollon qu’on appelle l’Apollon du Belvédère, et observez attentivement ce qui vous frappe dans ce chef-d’œuvre. Winkelmann, qui n’était pas un métaphysicien, mais un savant antiquaire, un homme de goût sans système, Winkelmann a fait une analyse célèbre de l’Apollon[1]. Il est curieux de l’étudier. Ce que Winkelmann relève avant tout, c’est le caractère de divinité empreint dans la jeunesse immortelle répandue sur ce beau corps, dans la taille un peu au-dessus de la taille humaine, dans l’attitude majestueuse, dans le mouvement impérieux, dans l’ensemble et dans tous les détails de la personne. Ce front est bien celui d’un dieu. Une paix inaltérable y habite. Plus bas l’humanité reparaît un peu, et il le faut bien, pour intéresser l’humanité aux œuvres de l’art. Dans ce regard satisfait, dans le gonflement des narines, dans l’élévation de la lèvre inférieure, on sent à la fois une colère mêlée de dédain, l’orgueil de la victoire et le peu de fatigue qu’elle a coûté. Pesez bien chaque mot de Winkelmann. Chacun de ces mots contient une impression morale. Le ton du savant antiquaire s’élève peu à peu jusqu’à l’enthousiasme. Son analyse devient un hymne à la beauté spirituelle, et la conclusion qui se tire d’elle-même, bien que l’auteur ne l’ait pas systématiquement tirée, c’est que la vraie beauté de l’admirable statue réside particulièrement dans l’expression de la beauté morale.

Au lieu d’une statue, observez l’homme réel et vivant. Voyez cet homme qui, sollicité par les motifs les plus puissans de sacrifier son devoir à sa fortune, après une lutte héroïque, triomphe de l’intérêt et sacrifie la fortune à la vertu ; regardez-le au moment où il vient de prendre cette résolution magnanime ; sa figure vous paraîtra belle :

  1. Winkelmann a décrit deux fois l’Apollon, la première fois d’une manière technique, la seconde à grands traits. — Histoire de l’Art chez les anciens, tome I, liv. iv, ch. iii, et tome II, liv. vi, ch. vi. Paris, 1803, 3 vol. in-4o.