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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/795

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à travers les enveloppes les plus grossières. Contemplons la nature avec les yeux du corps, mais aussi avec les yeux de l’ame : partout une expression morale nous frappera, et la forme nous saisira comme un symbole de la pensée. Nous avons dit que chez l’homme et chez l’animal la figure est belle par l’expression. Mais quand vous êtes sur les hauteurs des Alpes ou en face de l’immense Océan, quand vous assistez au lever et au coucher du soleil, à la naissance de la lumière ou à celle de la nuit, ces imposans tableaux ne produisent-ils pas sur vous un effet moral ? Tous ces grands spectacles apparaissent-ils seulement pour apparaître ? Ne les regardons-nous pas comme des manifestations d’une puissance, d’une intelligence et d’une sagesse admirable, et, pour ainsi parler, la face de la nature n’est-elle pas expressive comme celle de l’homme ?

La forme ne peut être une forme toute seule ; elle doit être la forme de quelque chose. La beauté physique est donc le signe d’une beauté intérieure, qui est la beauté spirituelle et morale, et c’est là qu’est le fond, le principe, l’unité du beau.

Toutes les beautés que nous venons d’énumérer et de réduire composent ce qu’on appelle le beau réel ; mais au-dessus de la beauté réelle, l’esprit conçoit une beauté d’un autre ordre, la beauté idéale. L’idéal ne réside ni dans un individu, ni dans une collection d’individus. Sans doute la nature ou l’expérience nous fournit l’occasion de le concevoir, mais il en est essentiellement distinct. Pour qui l’a conçu une fois, toutes les figures naturelles, si belles qu’elles puissent être, ne sont que des simulacres d’une beauté supérieure qu’elles ne réalisent point. Donnez-moi une belle action, j’en imaginerai une encore plus belle. L’Apollon lui-même admet plus d’une critique. L’idéal recule sans cesse à mesure qu’on en approche davantage. Son dernier terme est dans l’infini, c’est-à-dire en Dieu, ou, pour mieux parler, le vrai et absolu idéal n’est autre chose que Dieu même.

Dieu, étant le principe de toutes choses, doit être à ce titre celui de la beauté parfaite et de toutes les beautés naturelles qui l’expriment plus ou moins imparfaitement ; il est le principe de la beauté, et comme auteur du monde physique et comme père du monde intellectuel et du monde moral.

Ne faut-il pas être esclave des sens et des apparences pour s’arrêter aux mouvemens, aux formes, aux sons, aux couleurs, dont les combinaisons harmonieuses produisent la beauté de ce monde visible, et ne pas concevoir, derrière cette scène magnifique et si bien réglée, l’ordonnateur, le géomètre, l’artiste suprême ?