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étant toujours très imparfait, et plusieurs modèles ne pouvant composer une beauté unique. Le procédé véritable de l’art grec a été la représentation d’une beauté idéale, que la nature, il faut bien le dire, ne possédait guère plus en Grèce que parmi nous, qu’elle ne pouvait donc offrir à l’artiste. Cet idéal lui vint d’ailleurs, et avant tout de son génie. Nous regrettons que l’honorable lauréat, devenu depuis membre de l’Institut, ait prétendu que cette locution de beau idéal, si elle eût été connue des Grecs, aurait voulu dire beau visible, parce que idéal vient de εἶδος, qui signifierait seulement, suivant M. Émeric David, une forme vue par l’œil. Platon aurait été fort surpris de cette interprétation exclusive du mot εἶδος. M. Quatremère de Quincy accable son adversaire sous deux textes admirables, l’un du Timée, où Platon marque avec précision en quoi le véritable artiste est supérieur à l’artiste ordinaire, l’autre du commencement de l’Orateur, où Cicéron explique la manière de travailler des grands artistes, en rappelant celle de Phidias, c’est-à-dire du maître le plus parfait de l’époque la plus parfaite de l’art.

« L’artiste qui, l’œil fixé sur l’être immuable et se servant d’un pareil modèle, en reproduit l’idée et la vertu, ne peut manquer d’enfanter un tout d’une beauté achevée, tandis que celui qui a l’œil fixé sur ce qui passe, avec ce modèle périssable ne fera rien de beau[1]. »

« Phidias[2], ce grand artiste, quand il faisait une statue de Jupiter ou de Minerve, n’avait pas sous ses yeux un modèle particulier dont il s’appliquait à exprimer la ressemblance ; mais au fond de son ame résidait un certain type accompli de la beauté sur lequel il tenait ses regards attachés, et qui conduisait son art et sa main. »

Ce procédé de Phidias n’est-il pas exactement celui que décrit Raphaël dans sa lettre fameuse à Castiglione, et qu’il déclare avoir lui-même suivi pour la Galatée ? « Comme je manque, dit-il, de beaux modèles, je me sers d’un certain idéal que je me fais[3]. »

Il est encore une théorie qui revient par un détour à l’imitation : c’est celle qui fait de l’illusion le but de l’art. À ce compte, le beau idéal de la peinture est un trompe-l’œil, et son chef-d’œuvre cette toile de Zeuxis que les oiseaux venaient becqueter. Le comble de l’art pour

  1. Voyez notre traduction, t. XII, p. 116.
  2. Orator. « Neque enim ille artifex (Phidias) cùm faceret Jovis formam aut Minervæ, contemplabatur aliquem à quo similitudinem duceret ; sed ipsius in mente insidebat species pulchritudinis eximia quædam, quam intuens in eâque defixus ad illius similitudinem artem et manum dirigebat. »
  3. Raccolta di lett. sulla Pitt., t. I, p. 83. « Essendo carestia e de’ buoni giudici e di belle donne, io mi servo di certa idea che mi viene alla mente. »