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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/807

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sur des sons incertains et fugitifs, sur des paroles d’une signification bornée et finie, l’art leur communique, avec la forme la plus précise, qui s’adresse à tel ou tel sens, un caractère mystérieux qui, s’adressant à l’imagination et à l’ame, les arrache à la réalité et les emporte doucement ou violemment dans des régions inconnues. Toute œuvre d’art, quelle que soit sa forme, petite ou grande, figurée, chantée ou parlée ; toute œuvre d’art, vraiment belle ou sublime, jette l’ame dans une rêverie gracieuse ou sévère, qui l’élève vers l’infini. L’infini, c’est là le terme commun où l’ame aspire, sur les ailes de l’imagination comme de la raison, par le chemin du sublime et du beau, comme par celui du vrai et du bien. L’émotion que produit le beau tourne l’ame de ce côté ; c’est cette émotion bienfaisante que l’art procure à l’humanité.

L’objet de l’art est donc de produire des œuvres qui, comme celles de la nature, ou même à un plus haut degré encore, aient le charme de l’infini ; mais comment et par quel prestige tirer l’infini du fini ? C’est là la difficulté de l’art, mais c’est aussi sa gloire. Qui nous porte vers l’infini dans la beauté naturelle ? Le côté idéal de cette beauté. L’idéal, voilà l’échelle mystérieuse qui fait monter l’ame du fini à l’infini. Il faut donc que l’artiste s’attache à représenter l’idéal. Tout a son idéal. Le premier soin de l’artiste sera donc, quoi qu’il fasse, de pénétrer d’abord l’idéal caché de son sujet, car ce sujet en a un, pour le rendre ensuite plus ou moins frappant aux sens et à l’ame, selon les conditions que lui imposent les matériaux mêmes qu’il emploie, la pierre, la couleur, le son, la parole.

Ainsi exprimer l’idéal et l’infini d’une manière ou d’une autre, telle est la loi de l’art, et tous les arts ne sont tels que par leur rapport au sentiment du beau et de l’infini, qu’ils éveillent dans l’ame, à l’aide de cette qualité suprême de toute œuvre d’art qu’on appelle l’expression.

L’expression est essentiellement idéale. Ce que l’expression tente de faire sentir, ce n’est pas ce que l’œil peut voir, la main toucher, l’oreille entendre, c’est évidemment quelque chose d’invisible et d’impalpable.

Le problème de l’art est d’arriver jusqu’à l’ame par le corps. L’art offre aux sens des formes, des couleurs, des sons, des paroles arrangées de telle sorte qu’elles excitent dans l’ame, cachée derrière les sens, l’émotion ineffable de la beauté.

L’expression s’adresse à l’ame, comme la forme s’adresse aux sens. La forme est l’obstacle à l’expression, et en même temps elle en est le moyen impérieux, inflexible, unique. C’est donc en travaillant sur la forme, en la pliant à son service, à force de soin, de patience et de génie, que l’art parvient à convertir l’obstacle en moyen.