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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/819

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militaire ouverte par les Français et abandonnée après eux ; non-seulement l’Espagnol ne fonde rien, mais il n’a pas même l’esprit de conservation dans ses mains tout se dégrade, tout périt. De ce côté de la ville, le paysage est aride, l’horizon borné ; des collines pierreuses et grisâtres courent tristement des deux côtés ; entre elles coule, à travers les lauriers-roses, le fleuve d’Almérie, torrent capricieux qui, selon la saison, laisse à sec son large lit, ou renverse tout sur son passage. Après quelques milles, on passe le pont des Palmes, ainsi nommé à cause du grand nombre de palmiers qui croissent à l’entour. Je n’en avais jamais tant vu. Ce qu’on remarque avec moins de plaisir, ce sont de nombreux milagros ; on appelle ainsi des croix de bois plantées à la place où quelque meurtre a été commis. Ces sinistres jalons évoquent des images peu pastorales sur les pas du voyageur, et l’invitent à la prudence.

Tout ce pays est plus que suspect ; des histoires de voleurs en défraient seules la chronique. Mon compagnon de voyage en savait quelque chose, et par expérience ; il avait été plusieurs fois attaqué sur la route même que nous suivions, et quinze jours s’étaient passés à peine depuis sa dernière aventure. Parmi les brigands qui cette fois l’avaient assailli se trouvait son domestique. Peu de temps auparavant, quatre assassins l’avaient salué, en plein jour, presque au même endroit, d’une volée de coups de fusil ; mais ceux-là n’en voulaient pas à sa bourse, et ne songeaient qu’à satisfaire une inimitié commerciale irritée encore par sa qualité d’étranger, qui, au-delà des Pyrénées, est un titre de réprobation. M. T… s’était toujours tiré d’affaire avec un rare bonheur, mais sa sœur avait été moins heureuse que lui : attaquée elle-même et blessée grièvement par ces sauvages, elle était morte des suites de ses blessures. De tels antécédens étaient bien faits pour inspirer quelques alarmes, et on n’affronte pas des dangers si certains sans une passion bien décidée pour les voyages. A cette époque d’ailleurs, un faccioso nommé Arraès exploitait l’Alpuxarra au nom du droit salique de don Carlos, qui ne s’en doutait guère. Cette rencontre entrait donc en ligne de compte dans les chances du voyage. Et qu’avions-nous pour faire face à tant d’ennemis ? Notre unique fantassin. Il est vrai que notre escorte compta bientôt un homme de plus : le hasard nous fit rencontrer un second fantassin connu du premier, armé comme lui de l’escopette classique, et qui consentit, sur notre demande, à faire route avec nous. Renforcés d’autant, nous poursuivîmes notre marche avec plus de sécurité et prêts à tout évènement.

Laissant à droite Viator et Pechina, deux villages insignifians de la juridiction d’Almérie, nous traversâmes Huercal, gros bourg noyé dans la verdure, et bientôt, quittant la grande route qui s’en va serpenter sur les montagnes, nous descendîmes dans le lit du fleuve pour y marcher durant quatre mortelles heures. La végétation des deux berges est assez belle, mais le milieu est d’une aridité désespérante ; les lauriers-roses font trop vite place aux cailloux, et pas un arbre, pas un misérable buisson ne s’élève pour modérer les ardeurs du soleil. Il était midi, un air immobile et chaud pesait