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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/823

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ou, si l’on en paie un, ce droit est minime. Aussi la fabrication du plomb s’obtient-elle ici à plus bas prix que partout ailleurs. Voici, pour l’estimer en chiffres, quelques renseignemens recueillis sur les lieux. Soixante quintaux d’alquifoux donnent en vingt-quatre heures de travail une moyenne de quarante quintaux de plomb, lesquels ne reviennent guère qu’à 2,330 réaux (environ 600 francs). Le combustible ne figure dans ce total que pour environ 90 réaux (moins de 24 fr.). L’alquifoux coûte à la mine 30 à 32 réaux le quintal (soit 7 à 8 fr. ), et la journée d’un ouvrier fondeur n’est que de 7 réaux (1 fr. 75 c. ) ; le surplus est absorbé par les faux frais et les frais généraux, surtout par les transports, qui, faute de canaux et de routes, s’effectuent ; chèrement à dos de mulet. Voilà pour les prix de revient ; quant au prix de vente, il était à Almérie, quand je m’y trouvais, de 64 réaux (16 francs) le quintal. Il est facile d’établir des calculs rigoureux sur ces bases, qui sont les véritables en temps normal, sauf les razzias des accapareurs.

Dès le matin, mon hôte s’enferma avec son régisseur pour s’occuper des affaires qui l’amenaient, et moi je me mis en campagne. Le Pilar est situé dans ce que, les Espagnols appellent un barranco, mot énergique et pittoresque qui peint ce qu’il nomme, c’est-à-dire un défilé profond, étroit, désert, taillé, à pic entre deux murailles de rochers. Tel est précisément le barranco du Pilar : rien de plus solitaire, rien de plus désolé ; en le remontant, je ne rencontrai pas une habitation, pas un habitant, et m’allai perdre, après beaucoup de fatigue et peu de plaisir, dans une espèce d’entonnoir creusé en spirale au milieu des montagnes ; c’est en vain qu’arrivé là je cherchai un sentier : j’aurais pu me croire au bout du monde. Je me demandais comment j’allais faire pour sortir de cet abîme, quand j’entrevis à quelque cent mètres au-dessus de ma tête la silhouette peu rassurante d’un homme armé d’un fusil, et au même instant un coup de feu fit retentir les échos d’alentour ; une palombe qui vint tomber sanglante à mes pieds me dit que ce n’était pas à moi qu’on en voulait. Le chasseur m’eut bientôt rejoint pour s’emparer de sa proie. Nous nous saluâmes en nous mesurant du regard avec curiosité ; je n’étais pas exempt d’une certaine inquiétude ; mon inconnu, quel qu’il fût, sentait son vagabond d’une lieue. Son costume se composait d’une chemise et d’un caleçon de grosse toile ; son feutre à grands bords avait pu avoir jadis une couleur, une forme ; il n’en avait plus. Après tout, cependant, la partie était égale ; si j’étais seul, l’ennemi l’était aussi ; s’il avait un fusil, j’avais mon rétac, et puis, en l’examinant de près, je fis sur sa physionomie des découvertes moins alarmantes : quoique horriblement brûlé du soleil, son visage n’était pas trop rébarbatif. Il s’apprivoisa même jusqu’à rompre le silence le premier. — Jésus ! s’écria-t-il, quel démon de l’enfer a conduit ici votre seigneurie ? — Le démon de la curiosité, lui répondis-je, et là-dessus la conversation s’engagea ; on fit connaissance. Mon homme était un mineur et se rendait pour une affaire importante (il le disait du moins) du village voisins d’Alamos à la ville d’Uxixar. Ce mot me fit dresser l’oreille, car Uxixar est, comme on sait, la capitale de l’Alpuxarra. Je n’en étais qu’à deux ou trois