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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/824

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lieues, j’avais devant moi toute une longue journée d’été ; comment résister à la tentation ? On devine que je n’y résistai point, et me voilà parti en compagnie de mon braconnier.

Ne me demandez pas par où mon guide me fit passer, je ne pourrais vous le dire ; il s’était vanté de me faire aller en ligne droite, et il tint parole. Peu lui importait que le sentier fût ou non frayé ; il allait devant lui comme un chamois que nul obstacle n’arrête : montagnes, vallées, torrens, il franchissait tout. Heureusement que j’avais le pied montagnard, et je fis bonne contenance, bien que les alpargatas de mon compagnon eussent sur mes bottes un avantage incontestable pour courir sur les rochers. Du reste, rien ne me frappa dans cette course au clocher, si ce n’est la constante aridité du paysage et l’absence complète de végétation, toutes les fois qu’on s’élève de quelques bises au-dessus des vallées. Ces vallées même ne sont le plus souvent que des ramblas ou des barrancos ; c’est grand miracle quand le regard peut s’arrêter, comme aux environs de Lucaynena, que nous laissâmes à droite, sur un champ de seigle ou de maïs. De bois, il n’en faut pas parler, et, quant aux eaux, elles sont moins abondantes dans cette partie de l’Alpuxarra que dans les autres. Rien de plus monotone que l’aspect du pays, tant qu’on marche sur les plans inférieurs. Dès qu’on atteint les hautes cimes, on a, il est vrai, de magnifiques échappées sur la Sierra-Nevada et sur la sierra de Gador, qui courent parallèlement de l’est à l’ouest, la première au nord, la seconde au midi.

Point central de l’Alpuxarra, Uxixar est bâti entre les deux chaînes, plus près cependant de la Sierra-Nevada que de l’autre, sur le bord d’une rivière qui en descend, et qu’on appelle le fleuve d’Adra. Malgré son titre de capitale, et quoique élevé au rang de ville par le dernier roi more Abu-Abdalah, Uxixar n’est qu’une assez pauvre bourgade de deux à trois mille habitans, adonnés à la culture des terres et à l’élève des vers à soie. On remarque sur son territoire beaucoup de mûriers blancs et plus encore de cailloux : l’orge et le blé ne percent pas sans peine cette dure écorce. Les guerres et les haines religieuses ont depuis long-temps cessé, le souvenir même en est éteint ; cependant il existe encore parmi les habitans des bourgades voisines un préjugé contre Uxixar. Jaloux de ses privilèges de capitale, ils prétendent qu’un grand nombre de familles mores s’y fixèrent à l’époque de l’expulsion générale, et en effet, toute prévention à part, j’ai cru remarquer dans le peuple des physionomies singulièrement africaines. La permanence des types nationaux expliquerait ce fait, si toutefois la tradition populaire est fondée en raison, comme c’est probable. Malgré les rigueurs combinées de la politique et de la religion, beaucoup de familles ont pu et dû nécessairement, soit par une cause, soit par une autre, échapper à la proscription. Les exécuteurs de la loi étaient, après tout, des hommes, et, ce qui pis est, des subalternes la clé d’or a dû, par conséquent, ouvrir bien des cœurs à la pitié.

Quoi qu’il en soit, j’eus une excellente occasion d’étudier cette population suspecte, car ce jour-là on tirait la loterie, et il y avait foule, devant l’obscure