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distance est le fief de Valor, qui avait donné à la famille ommyade d’Aben Humeya le nom chrétien qu’il portait lui-même à Grenade avant d’être élu roi de l’Alpuxarra ; non loin est Mecina de Bonbaron, où naquit son successeur, Aben Aboo, et au-dessus les sombres et inaccessibles cavernes de Berchulez, où ce dernier fut assassiné. Trevelez est plus haut encore, juste au-dessous du pic de Mulahacen, à l’extrême lisière des régions habitées et habitables. En redescendant vers Torbiscon et Orgiva, on rencontre Portugo, l’ancien château-fort de Jubilez, et plusieurs villages d’origine arabe, qui tous appartiennent à l’Alpuxarra et jouèrent un rôle dans la grande insurrection du XVIe siècle ; défendus par la force de leur position autant que par la bravoure de leurs habitans, ils soutinrent pour la plupart des sièges en règle contre les troupes exercées du marquis de Mondejar, du duc de Sesa et du grand-commandeur de Castille, don Louis de Requecens, car il est à remarquer, à la gloire des vaincus, que pendant trois années les plus illustres noms de la monarchie espagnole, y compris don Juan d’Autriche, sont venus se heurter et quelquefois se briser, témoin le marquis de Velez, contre une poignée de montagnards déterminés. Les colons du nord de la Péninsule qui ont remplacé les indigènes déploieraient-ils dans l’occasion la même énergie, le même courage ? C’est ce que personne ne saurait dire, attendu qu’ils n’ont point été mis à l’épreuve. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils n’ont jamais fait parler d’eux, d’où l’on peut conclure, sans leur faire injure, qu’ils ont hérité des terres sans prendre l’esprit indépendant et guerrier qui les ensanglanta si souvent. Le Galicien est resté Galicien, l’Asturies, Asturien ; il est vrai qu’en retrouvant sur la Sierra-Nevada les châtaigniers, les rochers et les neiges de leurs propres montagnes, ils ont pu se faire illusion et se croire encore dans leur première patrie.


IV.

En tirant une ligne droite d’Uxixar à la Sierra-Nevada, on laisse à l’est Larolès et Bayarcal, et l’on arrive au port du Loup, un des passages les plus élevés de ces montagnes ; car, pris dans cette acception, le mot port, puerto, a en Espagne le même sens que le mot col a dans les Alpes. A très peu de distance du premier est un autre col ou port, celui de la Raguaha ou Ravaha (mot arabe qui veut dire abondance d’eau), et en effet aucun point de la sierra n’est plus riche en sources ; ce second passage, qui de l’Alpuxarra conduit dans les plaines du Marquisat, côtoie les hauts pics de l’Almirez et de Montayre, et va déboucher entre Guadix et Fiñana, sous la vieille forteresse de la Calahorra, bâtie pour en défendre l’entrée. Cette forteresse a joué un grand rôle dans la guerre des Morisques. Le marquis de Velez, ne trouvant pas le passage suffisamment défendu, eut l’idée au moins téméraire d’élever un fort au sommet du col, afin de se rendre tout-à-fait maître du défilé ; on envoya à cet effet des ouvriers et, pour les protéger, trois compagnies