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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/828

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pendant la guerre des Morisques ; c’est à Codbaa que le dernier roi de Grenade, Abu Abdalah, s’était retiré après son abdication forcée, et il y vécut cinq ou six ans au sein d’une petite cour animée des illusions et des rêves dont on nourrit toujours et partout les rois déchus. Cependant il se trouvait parmi ces courtisans de l’espérance un homme de bon sens, le vizir Tomixa. Les rois catholiques avaient abandonné en toute propriété à leur ennemi vaincu la Taha de Purchena. Tomixa la leur vendit 80,000 ducats d’or à l’insu de son maître. « Seigneur, lui dit-il en déposant cette somme à ses pieds, partez pour l’Afrique, quittez à jamais cette terre où vous avez régné et où tout est fini pour vous. » Le pauvre roi détrôné suivit en pleurant le sage conseil de son ministre, et, chose étrange, ce même homme qui n’avait pas su mourir pour son peuple et pour son royaume s’alla faire tuer au Maroc en combattant vaillamment à la bataille de Bacuba pour un parent dont les droits étaient contestés. Élevée dès-lors au rang de ville, même de capitale, Codbaa fut au siècle suivant la résidence d’Aben Humeya, et c’est là qu’il fut assassiné à la suite d’un complot raconté fort en détail par les historiens du temps. Nos voisins ont un proverbe trop cru pour que je me permette de le citer littéralement, mais dont le sens est que, toutes les fois qu’on creuse une affaire, on trouve une femme au fond. Le roi Charles III en était si convaincu, que sa première question en toutes choses était celle-ci : « Comment s’appelle-t-elle ? » La mort d’Aben Humeya démontre énergiquement la vérité de l’adage espagnol, et c’est plus que jamais le cas de demander - Comment s’appelle-t-elle ? L’histoire n’a pas conservé son nom ; nous savons seulement qu’elle était belle, bien née, pleine, de grace et de raison, capable au besoin de résolution et sachant agir comme elle savait vouloir, ce qui ne l’empêchait pas de s’habiller avec élégance, de jouer du luth à ravir, de chanter encore mieux et de danser comme une bayadère. Mariée à un parent d’Aben Humeya, don Vincent de Roxas, tué dans cette guerre, elle était restée veuve fort jeune, et recevait les soins d’un cousin nommé don Diégo Alguazil, qui l’aimait éperdument. Cet heureux, mais imprudent amant vivait dans la familiarité du roi et lui parlait si souvent de sa belle cousine, qu’il arriva ce qui arrive toujours en pareil cas, c’est que le roi voulut la voir ; il la vit en effet, et s’en éprit si fort lui-même, qu’ayant éloigné le cousin, il profita de son absence pour lui enlever sa maîtresse ; il fallut user de violence pour la mettre au pouvoir de son adorateur couronné. Quoique marié déjà à plusieurs femmes, Aben Humeya promit à la belle veuve de l’épouser, pourtant il n’en fit rien ; de là des plaintes amères et d’implacables ressentimens ; on ne se plaignait pas précisément d’avoir été enlevée, l’amour, et surtout l’amour d’un roi, fait pardonner ces choses-là, mais on s’indignait qu’étant femme de qualité, on fût abaissée au rôle ignominieux de concubine. Le ravisseur avait emmené sa nouvelle conquête à Codbaa. Quoique roi des Mores, Aben Humeya n’écrivait point l’arabe, il savait à peine signer son nom, et avait auprès de lui pour suppléer à son ignorance un neveu d’Alguazil, nommé Deyré, qui l’accompagnait partout ; la jeune veuve, qui