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Maroc après la guerre, y épousa sa cousine et s’établit avec elle à Tétuan ; là ils vécurent en paix sous la loi de Mahomet, et eurent, dit-on, beaucoup d’enfans. Ainsi l’une des tragédies les plus terribles de cette tragique histoire d’Espagne finit par un mariage, ce dénouement obligé de toutes les comédies.

A quelques lieues du Fondon s’élève la montagne du Préside, le point de la sierra le plus riche en mines ; car, à la lettre, on y trouve plus de plomb que de pierres. J’y accompagnai M. T… qui allait y chercher de l’alcool avec son régisseur du Pilar et l’employé d’en-haut, c’est-à-dire l’employé chargé spécialement des achats de minerai. L’oncle Pierre (c’était son nom), petit vieillard sec et musculeux, supportait la fatigue mieux que beaucoup d’hommes jeunes, et passait pour connaître à fond les mystères des mines. L’exploitation de la sierra se divise en saisons ; chacune de ces périodes s’appelle une barada. La saison morte est l’été, précisément celle où nous étions ; il était donc au moins douteux que mon hôte pût obtenir ce qu’il cherchait. Qu’en pensait l’oncle Pierre ? Il ne disait ni oui ni non : « Qui sait ? répondait-il sans se compromettre ; il faut voir. Allons toujours. » Nous allâmes.

Une côte horriblement nue, toute brûlée du soleil, et si raide que les mulets même avaient peine à s’y maintenir en équilibre, nous conduisit, après une descente non moins escarpée que la montée, au barranco de la Plomera, où l’on voit d’anciennes mines exploitées au temps des Mores et peut-être avant eux ; une fabrique en activité porte encore aujourd’hui le nom de la Plomera, et s’élève un peu plus loin. Rien d’ailleurs ne me frappa sur cette route, si ce n’est deux ou trois belles fontaines dont le voyageur goûte d’autant mieux les bienfaits, qu’arrivé sur la sierra, on ne rencontre plus d’eau. Pour ma part, je ne me rappelle pas avoir jamais eu plus soif. Il était onze heures ; la chaleur était effroyable. Heureusement que le vent se leva dans l’après-midi ; mais ce fut alors un autre supplice : on vannait de tous côtés la terre des mines pour en retirer les grains de minerai, et c’était aux quatre points cardinaux des tourbillons d’une poussière fine et métallique qui nous aveuglait, nous suffoquait.

Je ne saurais mieux comparer la montagne du Préside, pour la forme, la couleur, le mouvement, qu’à une fourmilière gigantesque. Quoiqu’on fût, comme je l’ai dit, dans la morte saison, il y régnait cependant de l’activité, mais à l’extérieur seulement ; le labeur souterrain était suspendu. Je descendis dans plusieurs mines, dans l’une entre autres dont le puits a sept cents pieds de profondeur : j’en fus pour ma peine, et remontai comme j’étais descendu. Ne croyez pas que ce soit une opération commode : on n’a, pour faire ce voyage vertical et ténébreux, qu’un mauvais panier d’osier soutenu par une mauvaise corde de sparte, et tout le reste à l’avenant. Les procédés en usage aujourd’hui sont les mêmes absolument qu’au temps des Arabes, et si les procédés mécaniques sont misérables, la vie des hommes est plus misérable encore. Plongés nus ou presque nus dans les froides entrailles de la terre, ils l’arrosent en vain de leurs sueurs : cette rude marâtre ne leur donne rien ; je dis rien, car la chétive pitance que le monopole jette par grace aux