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rien de plus commode ; le monde tout entier, sans vous excepter vous-même, le monde tout entier raisonne ; le raisonnement.court les rues. Un roman historique ? C’est bien facile encore ; n’avez-vous pas à votre disposition les faits, les situations, les caractères ? Il ne vous reste qu’à les enfiler dans une intrigue d’amour, comme un chapelet d’amandes et de raisins secs. Aimez-vous mieux un roman social ? Quoi de plus simple ? Nous avons des théories à la douzaine ; il n’y a qu’à se baisser et à prendre. Quant à raisonner là-dessus, c’est un art que vous possédez depuis vos études à l’université. En vérité, je ne sais ce qui vous empêcherait de nous donner un roman. Voyez ce jeune homme plein d’ardeur pour l’étude ; il n’est pas assez riche pour suivre la carrière qui l’attire ; qu’à cela ne tienne ! il étudie la théologie. Serez-vous plus coupable que lui ? Non, certes. Ce pauvre théologien ! quel mensonge il vient de faire à lui-même et au monde ! Cependant, son examen subi, le voilà autorisé à prêcher la vérité aux hommes. Ah ! sur ce goût du mensonge si répandu à l’heure qu’il est, sur ce goût des trompeuses apparences, sur ces vocations factices, j’écrirais volontiers des lamentations dignes de Jérémie… » L’ardent critique, comme on voit, n’est pas disposé à voiler la triste situation des lettres dans son pays. Je voudrais croire que son esprit morose s’est exagéré le mal qu’il dénonce. Pour nous, du moins, que ces misères de l’Allemagne ne préoccupent pas directement (nous avons bien assez des nôtres), nous rechercherons, parmi tant d’écrivains condamnés un peu trop vite, ceux qui auraient pu obtenir grace, ceux qui se détachent du milieu de cette foule tumultueuse, et qui ont mérité, chacun selon sa mesure, les éloges, les conseils, ou les regrets de la critique.

On éprouve un véritable embarras lorsqu’on essaie de classer tous ces romanciers d’une manière nette et distincte. Les noms se pressent, et les directions sont si nombreuses, les ambitions si diverses, qu’il semble difficile de porter la lumière dans cette partie, la plus confuse assurément, des lettres allemandes contemporaines. Je ne remonterai pas jusqu’à Goethe, jusqu’à Jean-Paul, maîtres glorieux qui ont imprimé au roman le caractère souverain de leur génie, et dont on ne pourrait rapprocher sérieusement les dilettanti de nos jours ; mais je nommerai l’esprit aimable dont les ingénieuses compositions ont été l’origine et sont demeurées le centre des tentatives nouvelles. Cet écrivain charmant, c’est l’auteur de Sternbald et de Vittoria Accorombona, c’est Louis Tieck. Entre la grande période de Goethe et les écoles plus brillantes que fécondes qui se partagent