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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/852

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les fait reparaître dans ses nouveaux contes. Ne sont-ce pas ces personnages plaisans, ces bourgeois ridicules, dont il égaie malicieusement ses tableaux de la vie présente ? Grace et malice, persiflage agréablement dissimulé, telles sont les armes que la jeune Allemagne voulut dérober à M. Tieck, quand elle introduisit dans de prétentieux romans ses plaidoiries et ses prédications.

Cette transition du romantisme de M. Tieck à la sémillante ironie de la jeune Allemagne est évidente pour la forme ; elle n’empêche pas qu’il n’y ait une rupture ouverte entre l’ancienne école et la nouvelle. Les romans de M. Gutzkow, de M. Henri Laube, de M. Théodore Mundt, appartiennent très décidément à un ordre d’idées tout nouveau. Ils portent surtout le reflet de 1830 ; ils sont inspirés par les essais de philosophie et de religion nouvelles qui se produisirent, après la révolution de juillet, en Allemagne aussi bien qu’en France. Ce qui n’est qu’un caprice léger dans les nouvelles les plus hardies de M. Tieck est tout-à-fait, dans les romans de la jeune Allemagne, un enseignement adopté, un programme qu’on a promis de remplir. M. Tieck a bien pu chanter avec infiniment de grace le Jeune Menuisier, et éclairer son atelier de toutes les lueurs de la poésie ; il a bien pu célébrer, dans Vittoria Accorombona, la libre fierté d’une jeune femme qui réclame contre les prescriptions de la société ; ce n’était pas chez lui une doctrine prêchée officiellement. Aussi, malgré la surprise qu’avait causée d’abord le coup de tête de M. Tieck, la fantaisie du conteur était une suffisante excuse, et Vittoria fit son entrée dans le monde le plus scrupuleux, dans les salons qui étaient restés fermés aux héroïnes du roman moderne. Au contraire, on sait avec quelles prétentions superbes, avec quelle désinvolture suspecte, la jeune Allemagne lançait, comme un défi, ses arrogantes aventurières. J’ai tâché d’indiquer ici même, il y a un an, les principaux incidens de cette singulière émeute. L’excitation produite par 1830 avait lâché la bride à toutes les théories sociales ; on commença de prêcher l’émancipation de la femme et (c’est aussi le terme consacré) la réhabilitation de la matière. M. Charles Gutzkow publia ce roman de Vally, qui suscita tant de colères ; M. Mundt écrivit les pages enthousiastes et sensuelles de Madonna, et M. Wilkomm crut résumer toutes les idées de la jeune Allemagne dans cet étrange imbroglio qu’il appela les Gens fatigués de l’Europe. Nous voilà bien loin de M. Tieck et de ses élégantes narrations. Je sais bien que deux critiques de la jeune école, M. Gustave Kühne et M. Théodore Mundt, se sont donné le, plaisir très piquant de signaler avec une sorte de pruderie offensée