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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/856

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d’aller entendre Mme la comtesse Hahn-Hahn dans ces brillans salons de Dresde ou de Berlin, dans ces châteaux du Rheingau, dans ces longues allées des parcs magnifiques où sa fantaisie se joue en des conversations sans fin ; après cela, mon portrait achevé, que l’aventureuse comtesse reparte pour Beyrouth et Alexandrie ! Aussi bien, Mme Hahn-Hahn vient de donner, il y a quelques mois, une complète édition de ses romans, et quoique dans sa préface elle traite tous ses juges avec un charmant dédain de grande dame, ce n’en est pas moins un appel très direct à la critique ; de toute manière, l’instant est bien venu de l’apprécier et de marquer sa place.

Il parut à Leipzig, en 1835, un recueil de vers qui portait ce simple titre : Poésies, par madame la comtesse Ida Hahn-Hahn. Le nom de l’auteur n’était encore connu de personne, et son volume se produisait, dans une compagnie fort mêlée, au milieu de ces recueils sans nombre qui chaque année viennent chercher aventure à la foire de Leipzig. Être distingué dans cette foule, lorsqu’on porte un nom tout nouveau, c’est un bonheur difficile et rare. Les vers de Mme Hahn-Hahn n’étaient point marqués de ces vives beautés qui révèlent un poète et consacrent, dès le premier jour, une réputation. Cependant il y avait dans tout ce volume un accent de mélancolie profonde ; on eût dit la plainte d’une douleur toute récente, le cri d’une blessure qui saignait encore. L’ouvrage portait cette dédicace : A toi ! et l’auteur avait emprunté à Pétrarque une mystérieuse épigraphe :

Non ti conosce il mondo, mentre t’ha.


Cette même dédicace, ce même appel à un nom qu’il n’osait écrire, l’auteur le reproduisait l’année suivante dans un recueil nouveau tout rempli d’une tristesse semblable, plus vive toutefois, plus impatiente et plus avide de repos. Là, c’étaient surtout des chants de voyage. Le poète, fuyant des souvenirs inquiets, errait par le monde et allait cueillir dans les plaines de Souabe, sur les montagnes du Necker, les simples des prés et des bruyères qui devaient guérir sa plaie ; ou bien il s’amusait à rassembler, chemin faisant, les traditions des vieux âges, et il reproduisait dans une série de ballades la lutte poétique des minnesingers au château de la Wartbourg. Les vers, je l’ai dit, étaient bien faibles : on sentait quelque chose de maladif dans ces stances monotones ; mais cette faiblesse précisément, cette douleur uniforme, ce mystère, et, s’il faut le dire, le nom de l’auteur, le nom d’une femme du monde inscrit sur ces pages plaintives, tout cela devait peu à peu attirer l’attention et préparer un auditoire au romancier du