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lendemain. Hélas ! n’était-ce pas une ruse, peut-être ? Cette sincérité qu’on avait cru découvrir dans les plaintes sans art du poète était-elle tout-à-fait sans mélange ? ou du moins ne s’y est-il pas ajouté bientôt après quelque chose de factice et de contraint ? C’est ce que vont nous apprendre les six romans écrits par Mme la comtesse Hahn-Hahn, et qui ont suivi à de courts intervalles la publication de ses élégies. Le premier livre de Mme Hahn-Hahn, Ilda Schoenholm, paraissait l’année suivante, en 1837.

Que les circonstances particulières de la vie de l’auteur aient influé sur ses compositions, que son roman personnel, s’il a existé, se soit traduit dans ses œuvres, c’est une question que je crois interdite à la critique. Il faut, pour soulever ces voiles, une main extrêmement légère, et s’il est toujours besoin de précautions infinies en de telles matières si délicates, combien plus de ménagemens devra garder celui qui parle d’une œuvre écrite dans une langue étrangère et empruntée à un monde dont il n’a pas tous les secrets ! La discrétion, certes, m’est ordonnée à plus d’un titre ; mais les circonstances extérieures appartiennent au lecteur, au critique, et je puis chercher dans les influences du moment l’origine des idées de Mme Hahn-Hahn, l’explication du caractère singulier de ses livres. Quelques mots, quelques rapprochemens suffiront. Or, au moment où l’auteur d’Ilda Schoenholm prit place dans les lettres allemandes, la jeune Allemagne venait de mener assez loin déjà ses folles équipées ; d’un autre côté, les romans de Mme Sand pénétraient de plus en plus au-delà du Rhin, et cette éloquence passionnée séduisait sans peine les neveux de Werther ; Rahel de Warnhagen, morte depuis quelques années, était devenue pour les rêveurs enthousiastes l’objet d’un culte fervent, et c’était l’instant où Bettina commençait de prophétiser. Eh bien ! que ces excitations diverses viennent à rencontrer une ame douce et pourtant assez ardente, une ame blessée, souffrante, mais prompte toutefois à se guérir et à tirer parti de ses douleurs ; que l’écrivain accepte souvent ces influences, que souvent il les combatte ; surtout qu’il mêle à cela les souvenirs, les sympathies aristocratiques qui lui sont chères : il composera les romans que j’ai à juger ici, il donnera cette série de livres bizarres, d’un caractère mélangé, indécis, œuvres élégantes, maniérées trop souvent, d’un haut goût aristocratique, et où éclatent tout à coup, on ne sait pourquoi, les plus bizarres révoltes du drame moderne. Toutefois, ne disons rien de trop, et regardons de plus près pour mieux voir. Aussi bien, ce caractère ne se remarque pas encore dans Ida Schoenholm ; ici, c’est une plainte assez douce,