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elle est vive, pressante, à la fois naturelle et merveilleuse, unissant les combinaisons mythologiques et les peintures du cœur humain. Et ce chant (notez-le) n’est pas un chant de dimension ordinaire ; il n’a pas moins de 1,400 vers ; si l’on y joint les 250 premiers vers du suivant qui exposent les derniers actes de Médée en Colchide et sa fuite à bord du vaisseau Argo, on a là une suite de plus de 1,600 vers pleins de beautés diverses, animés de feu, de passion et de grace. Le poème, à partir de ce moment, est expressément placé, sous l’invocation d'Erato, la muse de l’amour. Il semble que le poète, arrivé à cet endroit de son œuvre, se soit dit que cette passion amoureuse était la seule nouveauté qu’Homère lui eût laissée entière dans le domaine épique, et il s’y est appliqué avec charme, avec bonheur. Il m’est impossible (quelque réserve qu’on doive mettre à juger de soi-même les anciens) de ne pas le trouver en cet endroit un grand poète, ou du moins un poète supérieur ; il sort tout-à-fait de l’oequali mediocritate, dont l’a qualifié Quintilien ; il fait mieux que de ne jamais tomber, comme l’en a loué Longin, il s’élève ; et, si ce n’est pas du grandiose ni du sublime, à proprement parler, il a du moins plus d’un trait admirable dans le gracieux ; on ne l’a pas assez dit, et j’espère parvenir, sans beaucoup de peine, à le montrer à l’aide de l’analyse et des traductions suivantes.

Les Argonautes donc, au commencement du chant troisième, après une longue navigation, après toutes sortes d’aventures déjà et de périls, viennent d’entrer dans l’embouchure du Phase et d’aborder en Colchide. Il s’agit pour eux d’obtenir, de gré ou de force, du roi Eétès qui y règne, la toison d’or que Jason doit rapporter. Les Argonautes, dans les derniers jours de leur navigation, ont par bonheur rencontré de jeunes princes, petits-fils d’Eétès et fils d’une ses filles, lesquels, de leur côté, étaient partis un peu aventureusement pour aller en Grèce, car ils sont Grecs par leur père Phrixus ; avec le secours de ces auxiliaires précieux qu’ils ont sauvés du naufrage et qu’ils ramènent avec eux, les héros et Jason, leur chef, espèrent s’insinuer auprès d’Eétès et trouver jour à leur entreprise.

Au commencement du chant, Junon et Minerve apparaissent délibérant en faveur de Jason, et cherchant pour lui quelque expédient qui le mette en possession de sa conquête. Elles restent court quelque temps et en silence ; tout d’un coup Junon se fixe à l’idée d’aller trouver Vénus et de lui demander qu’elle engage son fils à blesser Médée d’une flèche au cœur pour Jason. Médée, fille d’Eétès, est une jeune fille, prêtresse d’Hécate et habile aux enchantemens ; mais, à cette