Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/890

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vient de se dire pour conclusion qu’elle attendrait que sa sœur vînt la première à elle pour requérir secours ; et, en conséquence, voilà qu’elle-même se dispose à faire les premiers pas au-devant de sa sœur.

« Elle dit, et, se levant, elle ouvrit les portes de la chambre, nu-pieds, vêtue d’un simple vêtement ; et elle voulait aller vers sa sœur, et elle avait déjà franchi le seuil. Long-temps elle demeura à la même place sous le vestibule de sa chambre, retenue par la pudeur ; et elle revint de nouveau en arrière, et de nouveau elle se remit à sortir, et de nouveau elle rentra. Ses pieds la portaient au hasard çà et là. Lorsqu’elle allait en avant, la pudeur au dedans la rappelait, et bientôt le désir téméraire triomphait de la pudeur. Trois fois elle tenta d’aller, trois fois elle se retint, et la quatrième elle retomba la face en avant, roulée sur sa couche.

« Comme lorsqu’une jeune mariée pleure dans la chambre nuptiale le florissant époux auquel l’ont unie ses frères et ses parens, et elle évite de se mêler en rien à la foule de ses suivantes, par pudeur et par prudence ; mais elle reste assise au fond de sa chambre, silencieuse ; car un destin cruel vient de le lui ravir avant qu’ils aient pu jouir l’un de l’autre dans leur mutuelle tendresse ; et elle, bien que brûlée de douleur au dedans, en contemplant ce lit veuf, elle étouffe ses pleurs en silence, de peur que les femmes ne lui brisent le cœur par quelque raillerie. C’est pareille à elle que Médée se lamentait. »

Mais une suivante de Médée l’aperçoit en cet état et va en prévenir sa sœur. Celle-ci accourt, l’interroge, la presse : « Quelle est la cause de cette douleur ? est-elle saisie d’un mal subit, tel qu’en envoient les dieux ? ou bien a-t-elle appris quelque nouvelle fâcheuse ? a-t-elle entendu quelque menace d’Eétès contre Chalciope et ses enfans ? » Médée profite habilement de cette ouverture que lui offre l’inquiétude d’une mère, et elle a l’art de se faire instamment prier de ce qu’elle-même désire ; mais cet artifice ne se passe point sans toute sorte de confusion et sans d’adorables restes d’ingénuité :

« Ainsi parla Chalciope : les joues de Médée se couvrirent de rougeur ; long-temps la pudeur virginale l’empêcha de répondre malgré son désir. La parole tantôt lui montait au bout de la langue, et tantôt se renvolait au fond de sa poitrine. Bien des fois sa bouche aimable s’ouvrit pour parler, mais la voix ne passa point plus Avant. Bien tard enfin elle se décida à dire de la sorte avec ruse, car les hardis Amours faisaient rage :

« Chalciope, mon ame est tout en peine pour tes enfans : je crains élue notre père ne les fasse périr du coup avec ces étrangers. Ce sont