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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/891

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ces horribles songes qu’à peine endormie tout à l’heure je voyais dans mon sommeil. Puisse un dieu les rendre sans effets ! puisses-tu n’en venir jamais à cette affreuse douleur pour tes enfans ! »

Une fois la mère ainsi alarmée dans Chalciope, celle-ci ne se contient plus ; elle fait jurer à Médée le secret sur ce qu’elle va lui proposer, elle la supplie de trouver un expédient de salut pour ses enfans ; dans son délire, elle s’emporte même un moment jusqu’à la menace ; puis elle embrasse les genoux de la jeune fille, puis elle abandonne sa tête sur ce sein désolé, et les deux sœurs sont là dans les bras l’une de l’autre, à pleurer de pitié l’une sur l’autre, et l’on entend à travers le palais leurs gémissemens confondus. Tableau pathétique et charmant, et bien supérieur par tout ce qu’il renferme à la situation des deux sœurs dans Virgile ; car Anna soror a beau faire, elle n’est qu’une très noble confidente et n’a pas d’autre rôle que celui d’une magnifique utilité.

« Mais que puis-je faire ? ajoute ingénument Médée : je l’ai juré et je suis prête à tenter pour tes enfans tout ce que je puis. » C’est alors que Chalciope répond : « Ne pourrais-tu pas (fais cela pour mes enfans) imaginer quelque ruse, un expédient quelconque, dans la grande épreuve, en faveur de cet étranger qui lui-même en a tant besoin ? De sa part, et avec mission de lui, Argus m’est venu presser d’obtenir, s’il se peut, ton assistance ; je l’ai laissé chez moi en accourant ici. »

À ces mots, le cœur de Médée s’envole de joie ; elle rougit, un brouillard délicieux l’enveloppe, et elle promet tout, mais dans quels termes encore et avec quel mélange de gracieux déguisement ! « Chalciope, s’écrie-t-elle, tout ce qui peut vous être agréable et cher, je le ferai. Que l’Aurore ne brille jamais à mes yeux et que tu ne me revoies plus existante parmi les vivans, si je préfère quelque chose à toi, ma sœur, ou à tes enfans qui sont comme mes frères, mes défenseurs naturels et du même âge que moi. Et moi-même je puis me dire à la fois ta sœur et ta fille, puisque tu m’as suspendue aussi bien qu’eux à ta mamelle quand j’étais toute petite, comme je l’ai tant de fois entendu raconter à notre mère… » - Est-il besoin de relever la grace exquise de cet artifice, cette subite tendresse qui se réveille pour les enfans de sa sœur et qui cherche à se confirmer par de si attachantes images ? Et peut-être qu’elle-même, en disant ces choses, elle en subissait l’illusion, elle croyait les penser et les sentir. Je remarquerai encore qu’à la réflexion cette particularité de famille n’est pas inutile pour nous rassurer sur l’âge de Médée, que les malintentionnés pourraient soupçonner d’être un peu vieille fille, à lui voir des