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m’en croire. » Et elle leur raconte à demi la promesse à laquelle elle s’est engagée : l’étranger doit venir pour recevoir d’elle un charme propice, mais elle peut lui en donner un qui soit contraire, recevoir les présens, et ainsi tout sera concilié. Les compagnes, à l’unanimité, applaudissent à une idée si heureuse, et se promettent d’en profiter.

Jason, pendant ce temps-là, s’est mis en marche vers le temple, accompagné du seul Argus et du devin Mopsus, bon conseiller. Tous les héros des poèmes anciens, Énée, Ulysse, ont le don de devenir plus grands, plus beaux de leur personne, à de certains momens, sous la protection des déesses ; mais nulle part cette sorte de métamorphose ou d’embellissement surnaturel n’est plus magnifiquement décrite que pour Jason : « Personne encore jusque-là parmi les hommes des anciens jours, ni parmi ceux qui sont de la descendance de Jupiter lui-même, ni d’entre tous les héros qui jaillirent du sang des autres immortels, personne n’avait été pareil à ce que devint Jason ce jour-là, par la faveur de l’épouse de Jupiter, tant pour la beauté de la personne que pour le charme des entretiens. Ses compagnons eux-mêmes en étaient éblouis à le considérer si éclatant de graces, et le fils d’Ampicus (Mopsus) se réjouissait grandement de ce voyage dont il présageait d’avance le résultat. »

Mais, au moment où Mopsus embrassait en idée tant de choses, il en était une, et la plus simple de toutes, dont il ne s’avisait pas : ces sortes d’inadvertances sont l’ordinaire, comme on sait, des devins et des astrologues

« Il y a dans la plaine, le long de la route et non loin du temple, un certain peuplier noir orné d’une chevelure de feuilles infinies, sur lequel aiment à s’assembler les corneilles babillardes. L’une d’elles, pendant qu’ils passaient, se mit à battre des ailes, et, du plus haut de l’arbre, proféra les intentions de Junon

« O le sot devin, qui ne sait pas même comprendre avec son esprit ce que savent les petits enfans, qu’une jeune fille ne dira ni douceurs, ni propos d’amour à un jeune garçon, s’il y a des étrangers pour témoins ! Va-t’en bien loin, ô méchant devin, pauvre sage ! Ni Vénus ni les suaves Amours ne versent leur souffle sur toi. »

Mopsus sourit à cet avis si joliment donné, et en tient compte ; Argus et lui s’arrêtent à cet endroit, et laissent Jason s’avancer tout seul au terme du rendez-vous. Virgile aussi a montré, en un des plus beaux passages du IVe livre, l’impuissance des devins ; c’est quand Didon perd sa peine à consulter les oracles des dieux et à interroger des entrailles des victimes :