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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/902

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tenaient tous les deux leurs yeux attachés à la terre, tantôt ils les relevaient pour se voir, en s’envoyant de complaisans sourires de dessous leurs sourcils brillans. Et c’est bien tard et à grand’peine que la jeune fille parla… »

Ce premier discours de Médée, si lentement amené, débute et se déroule avec un naturel infini : elle va droit au fait du premier mot « Écoute bien à présent, lui dit-elle, comment je viendrai à bout de te secourir… ; » et elle entre immédiatement en matière sur l’herbe magique, sur l’usage qu’il en faut faire, et sur les diverses circonstances de l’épreuve à laquelle le héros s’est soumis. Ce discours, tout positif et de prescription technique, a pour avantage, en allant d’abord au principal de son inquiétude, de la sauver encore elle-même des restes d’embarras qu’elle éprouve, de lui donner le temps de se remettre, et de suspendre par un dernier détour l’expression directe de ses sentimens ; ils éclatent pourtant dans ce peu de mots qui terminent les conseils :

« Tu pourras de cette sorte emporter la toison en Grèce, — bien loin de Colchos ; après cela, pars, va où le cœur t’appelle, où tu es si empressé de retourner. »

Tout ce qui suit est d’une gradation charmante : « Ainsi donc parla-t-elle ; et en silence, ses regards tombant devant ses pieds, elle baignait sa joue divine de tièdes larmes, s’affligeant de ce qu’il allait errer si loin d’elle à travers les mers ; et de nouveau elle lui adressa en face ces paroles pleines d’amertume, en lui prenant la main droite, car déjà la pudeur désertait de ses yeux :

« Souviens-toi, si jamais tu es de retour dans ta patrie, souviens-toi du nom de Médée, comme moi-même je me souviendrai de toi, si éloigné que tu puisses être. Et mets quelque complaisance à me dire où sont tes palais et de quel côté tu vas te diriger d’ici avec ton vaisseau à travers les mers. Est-ce tout près de l’opulente Orchomène que tu dois aller ? Est-ce tout près de l’île d’AEéa ? Dis-moi quelque chose encore de cette jeune fille que tu as nommée comme si célèbre, de cette fille de Pasiphaë, la sœur de mon père. » Elle dit ; et lui aussi, à son tour, le funeste Amour commença à le surprendre par les larmes de la jeune fille, et il répondit… »

On voit que Jason a bien tardé à s’émouvoir, et que son sang-froid a duré assez long-temps ; il est tout-à-fait dans le rôle d’Énée et de