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tant de héros qui se laissent faire et que les dieux, en de telles rencontres, conduisent par la main à leur fortune. Quant aux questions de Médée, elles sont bien naturelles en même temps que finement insinuantes : elle parle d’Orchomène et de l’île d’AEéa, parce qu’elle ne connaît guère d’autres pays lointains : de l’un est venu son beau-frère Phrixus, et dans l’autre habite sa tante Circé. Elle aime surtout à revenir autour de cette histoire d’Ariane qui la tente, et qu’elle fait un peu semblant de ne savoir que confusément ; elle trouve même moyen d’éviter de nommer par son nom celle qu’elle appelle simplement la fille de Pasiphaë. Jason essaie de la satisfaire et commence à lui parler de sa patrie ; puis, touché par degrés et gagné à la tendresse, il s’interrompt en s’écriant :

« Mais pourquoi te raconter toutes ces choses que le vent emportera, et ma patrie, et notre famille, et la très illustre Ariane, fille de Minos, nom brillant qui fut celui de cette vierge aimable sur laquelle tu m’interroges ? Plût aux dieux que, comme Minos alors s’accorda pour elle avec Thésée, ton père voulût faire de même pour nous ! »

« C’est ainsi qu’il parlait, en la touchant avec des entretiens pleins de miel ; mais elle, des amertumes très douloureuses irritaient son cœur, et elle ne sut que lui répondre en gémissant :

« C’est en Grèce qu’il peut être beau de songer à de tels accords ; mais Eétès n’est point un de ces hommes tel que tu viens de me montrer Minos, l’époux de Pasiphaë ; et je ne m’égale point non plus à Ariane : c’est pourquoi, ne me parle en rien de ces alliances hospitalières. Mais toi seulement, lorsque tu seras de retour à Iolcos, souviens-toi de moi, et je me souviendrai de toi à mon tour, en dépit même de mes parens. Et si jamais tu m’oubliais, qu’il me vienne de loin, ou quelque renommée, ou quelque oiseau messager ! ou plutôt, moi-même, puissent d’ici les rapides tempêtes m’enlever par-dessus les mers jusqu’en Iolcos, pour que je t’aille jeter à la face mon reproche et le souvenir que tu n’as échappé que par moi… Oh ! puissé-je alors, sans que rien m’annonce, m’abattre à ton foyer dans tes palais ! » - Elle dit, et des larmes de pitié ruisselaient le long de ses joues… »

Il me semble qu’il n’y a rien à ajouter après de telles beautés, après un tel élan de passion et ce premier cri qui, dans sa violence, renferme déjà toute la tragique destinée. Nous pourrions prolonger encore ; l’entretien n’en reste pas là ; Jason s’efforce de démentir les éloquens présages et de chasser ces idées de tempêtes et d’oiseau messager qu’elle vienne seulement en Grèce, et elle verra comme elle y sera honorée. Médée s’oublie à l’écouter, et c’est Jason qui, le premier