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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/904

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(ainsi qu’il est naturel), croit devoir la rappeler à la prudence, l’avertir qu’il se fait tard, que le soleil bientôt va se coucher, et qu’il faut éviter d’éveiller les soupçons des compagnes. Les deux amans se séparent avec espoir de se retrouver.

Le troisième chant n’est pas fini ; il va se couronner, non sans grandeur, par une très belle description de la lutte de Jason avec les taureaux qu’il attelle, et de son combat contre les géans, qu’il moissonne comme un laboureur terrible.

Il y aurait encore (mais il ne faut pas abuser même des graces) à tirer du début du chant suivant l’image des terreurs soudaines de Médée, qui se croit découverte, sa fuite du palais paternel, ses adieux au lit, à la chambre virginale, dans laquelle elle laisse suspendue pour sa mère une boucle de ses plus longs cheveux : c’est à regret que je renonce à ces touchantes scènes, dignes de tout ce qui a précédé. Réfugiée à bord du vaisseau des Argonautes, elle en redescend pour guider de nuit Jason par la forêt, et sous l’œil du dragon qu’elle endort, à la conquête des dépouilles du bélier divin : cette scène encore est toute semée de belles images et de poésie. Puis on verrait avec l’aurore le navire Argo, vainement poursuivi par les Colchidiens, sortir triomphant du Phase sous les coups de rames des héros, et Médée près de Jason à la place d’honneur, glorieusement assise à la poupe sur la merveilleuse toison.

C’est à ce moment, et comme dans ce lointain, que le poème devrait finir, ce me semble, pour garder son intérêt et pour trouver son unité. Ce serait là, pour cette première Médée, une fin aussi belle dans son genre, bien que moins funèbre, que celle du bûcher de Didon. Par malheur, le poète, redevenu érudit, ne veut rien omettre, et il nous promène ensuite à travers toutes les vicissitudes d’un retour où certains tableaux, ménagés de distance en distance, ne suffisent pas à racheter la fatigue pour le lecteur. Médée, bien qu’à bord du vaisseau, disparaît par intervalles, et surtout elle se gâte en avançant : elle cesse d’être l’intéressante jeune fille qu’on a vue ; elle redevient la Médée traditionnelle, la nièce de Circé ; on fait plus que deviner, on retrouve en elle la victime des Furies, la meurtrière et l’incendiaire déjà. Du moment qu’elle a été obligée d’aider et d’assister au meurtre de son frère Absyrte, elle est odieuse. Jason ne paraît pas très loin de cet avis, et il la considère trop visiblement désormais comme un embarras. On pourrait y voir une leçon morale, et le poète l’a même indiqué : une première faute peut entraîner à tous les regrets, à tous les crimes.

Mais cela est plus utile à apprendre en morale qu’agréable à voir en