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les intrigues qui allaient se nouer autour de lui, et le goût peu prononcé de miss Eden pour sa personne. Il recula sagement, et tomba dans un désespoir amer. Dès-lors il ne pensa plus à se marier. »

Appréciateur plein de tact de la distinction chez les femmes, Pitt fut heureux d’avoir sa jeune nièce auprès de lui. Il se trouvait au plus fort de sa grande lutte, en face de la république française, et ensuite de Napoléon Bonaparte. Esther écrivit sa correspondance, rédigea ses notes, régla sa maison. Elle le soutint de tout son pouvoir, et il reconnut en elle autant de force d’ame que d’activité, et surtout ce sens droit et imperturbable, cette pénétration vigilante, sans lesquels on ne conduit ni les grandes ni les petites affaires. Les hommes d’intrigue sont portés à imaginer que le fond de la politique, c’est le mensonge ; cela est faux. Le fond de la politique, c’est la vérité. L’art de connaître les choses cachées et celles qui se préparent constitue la moitié de l’homme politique. Il faut encore, après avoir déchiré les enveloppes et reconnu toutes les réalités, savoir agir sur ces élémens réels. — L’oncle et la nièce firent aussi bon ménage que possible. Il ne dédaignait pas de prendre ses conseils, et n’avait point de secrets pour elle. « Esther, disait-il, parle comme une pie, et ne dit que ce qu’elle veut ; elle babille en connaissance de cause. » Le véritable bras droit de William Pitt, ce fut donc Esther, qu’il trouvait à juste titre supérieure à ces nullités actives dont les hommes politiques ont plaisir à s’environner : instrumens qui ne contrôlent rien, espèrent, flattent, obéissent, reçoivent des faveurs, et, quand ils sont exempts d’envie, forment une excellente matière à gouvernement. Pitt en était obsédé. De tous les amis et confidens du ministre, celui dont l’oncle et la nièce se défiaient le plus et qu’ils surveillaient de plus près était Canning ; on n’aime guère ses héritiers, et Pitt pressentait celui-ci. Quant aux autres, Esther leur voua le plus complet dédain : Canning fut seul honoré de sa haine.

En soulevant ces voiles, en pénétrant le secret de ces rouages, elle devint misanthrope à vingt ans et presque cynique ; cette singulière position d’une jeune fille était relevée par tant de pétulance, de verve, d’entrain et de bonne humeur, que l’on eut peur d’elle ; on l’estima très haut, et le vieux roi George fut un de ses admirateurs les plus ardens. La cour se promenait un soir sur cette terrasse féodale de Windsor d’où l’on découvre de si beaux aspects. Les princes et les princesses étaient là. — Pitt, dit le roi en se retournant, j’ai fait choix d’un nouveau ministre. — Comme votre majesté voudra. Le fardeau est lourd et commence à me peser ; un peu de repos me fera du bien. – Et