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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/917

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Après Camelford et Pitt, elle n’estimait guère que Brummell, le chef des dandies, roi dans son espèce, et aussi impertinent qu’elle. Elle aimait cette fatuité vengeresse qui imposait à toutes les prétentions, cet ennemi du lieu commun, du sentiment faux, de l’orgueil mais et de la vanité sotte, c’est-à-dire de tout ce qu’elle détestait le plus ; ce parvenu assez hardi pour humilier les altesses grossières, les pédans de vertu et les hypocrites de science ; c’était plaisir pour elle de le voir saluer un prince par-dessus l’épaule, et forcer par ses grands airs une duchesse à baisser les yeux. Elle racontait là-dessus des anecdotes incroyables et vraies. Un soir, chez le duc de Rutland, au bal, Brummell parcourait lentement du regard un cercle de femmes, disant tout haut et du bout des lèvres : « Où trouverai-je une femme qui sache valser sans m’éreinter ? Ah ! voici Catherine (la sœur du duc de Rutland), et je crois que cela fera mon affaire. » Il l’invita le plus gracieusement du monde et fut accepté. La duchesse elle-même avait coutume d’augmenter ses graces naturelles par des artifices si considérables, que Brummell, au milieu d’un grand bal, s’arrêta devant elle, et lui dit : « Mais, au nom du ciel ! ma chère duchesse, qu’est-ce que cette tournure-là ? Je vous donne ma parole d’honneur qu’il faudra vous mettre sous presse. Je vous supplie positivement de marcher à reculons quand vous sortirez de la salle : je ne pourrais pas regarder par-là. » Chez les parvenus, il était aussi impertinent et avec autant d’à-propos que chez les seigneurs. Il interrompait un dîner servi avec la recherche la plus pompeuse pour demander au domestique des anchois de la mer des Indes ou de la sauce de Palmyre, ajoutant de l’air le plus froid du monde : « On ne dîne plus sans cela ! » Le triomphe de cette suprême impertinence était la matinée de Brummell, lorsqu’une douzaine de ducs et six ou sept marquis se tenaient debout pendant sa toilette. « Eh bien ! leur disait-il en se retournant, que voulez-vous ? Ne voyez-vous pas que je me nettoie les dents ? » La brosse se promenait avec lenteur dans la bouche du dandy, qui observait ses dents avec un miroir, et reprenant la parole : « Je crois que c’est une tache… non ; c’est un peu de café. Cette poudre est excellente ;…- n’espérez pas obtenir ma recette ; vous n’en aurez pas, vous autres ! »

En définitive, ces deux êtres étaient l’analogue l’un de l’autre, à cette exception près, que beau Brummell était la femme. Un jour ces personnages, qui s’appréciaient et s’aimaient fort, se rencontrèrent dans Bond-Street, la promenade à la mode. Ils étaient à cheval l’un et l’autre. Brummell, tenant ses rênes entre le pouce et l’index, comme une prise de tabac, s’arrêta et se pencha vers lady Esther. « Chère